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LE TERME catharsis, est un mot grec signifiant purification, purgation. Il était décrit par Aristote, pour désigner l’effet produit chez les spectateurs par la tragédie. Dans la tragédie DSK, on en parle, on n’arrête pas d’en parler aux comptoirs des cafés. Écoutez autour de vous, les discussions entre collègues de bureau, dans les soirées entre amis, en famille. Les gros titres des manchettes de journaux affichent ce sujet depuis deux semaines. Même sur le divan du psychanalyste, le patient en parle, J’en témoigne.
Un besoin spontané collectif se fait d’échanger les affects suscités par cette tragédie, d’expurger l’émotion, le malaise individuel et collectif inhabituel créé par cette nouvelle. C’est l’équivalent de ce que nous pourrions éprouver au décours d’un accident ou d’une catastrophe à laquelle nous aurions échappé ou dont nous aurions été les témoins proches.
En psychiatrie, cela s’appelle le « phénomène d’abréaction ». Nous éprouvons alors le besoin de partager nos émois, nos éprouvés de peur, de sidération, pour reconnaître en l’autre l’équivalent, afin de faire ce que les Anglo-Saxons nomment le debriefing.
Généralement, après un accident, une catastrophe, des cellules d’urgence psychologique sont chargées de mettre en place des séances de debriefing, pour mettre en mots les maux. Dans cette affaire DSK, c’est un debriefing collectif spontané qui s’est mis en place face à ce qu’il convient d’appeler un traumatisme psychique collectif. Comme devant toute catastrophe, l’irruption du réel tragique suscite d’abord un réflexe humain de dénégation : « C’est incroyable, pas possible, c’est donc peut-être un complot. »
Mais qui est DSK pour que sa chute nous concerne tous ? Il était un personnage connu et reconnu, à l’aura et au charisme élogieux, de stature internationale, préprésidentiable et déjà pré-élu par plus de 50 % de Français, qui s’apprêtaient à voter pour lui au second tour de l’élection présidentielle. Bref, tous les ingrédients pour l’ériger au rang d’un personnage admiré et respecté aux yeux de l’opinion publique. Il était pré-élu dans le cœur de nombreux Français en tant que figure présidentiable paternelle potentielle.
Il est donc littéralement impensable d’imaginer qu’il ait pu être l’auteur d’agressions sexuelles pour autant que les faits soient avérés.
L’impact de cette nouvelle est de faire effraction dans le miroir idéalisé que nous avions pour ce personnage non pas au-dessus, mais au-delà de tout soupçon. Le debriefing spontané facilite la transformation du choc traumatique en souvenir non traumatique.
Le corps a dit non.
Il existe deux termes pour désigner l’acte qu’a commis DSK : le terme français de « passage à l’acte » et le terme anglais acting out. Le terme anglais s’adapte davantage à l’agression sexuelle présumée. La postposition out signifie bien qu’il s’agit de montrer au-dehors, à l’extérieur, ce qui viendrait de l’intérieur. Et pour le coup, dans ce cas-là, il s’agit de montrer à la face du monde le conflit intérieur.
Mais ce que souhaitait montrer DSK, faire savoir au monde entier, car si tel était son désir inconscient, pour une réussite, c’est bien une réussite tragique. Il est possible, qu’il ait dû s’engager dans cette décision de se présenter à l’élection présidentielle à son corps défendant, et c’est son corps qui a dit non. L’interview récente que reproduit un hebdomadaire d’un DSK dont « l’approche présidentielle était plus esthétique que charnelle et habitée ». « Depuis l’âge de 15 ans, dit-il, je ne pense pas à l’élection présidentielle. » On est loin du « J’y pense tous les matins en me rasant », qui témoigne du fait, que s’engager dans ce combat suppose qu’il faille que le corps suive, en se rasant, en se couchant, ou en s’habillant et même plus si affinités, avec ce souhait de candidature. Incorporer ce désir, et en être habité à tout instant.
On peut raisonnablement penser, qu’avant de se laisser aller sa pulsion à commettre l’acte de chair dans ce pays « puritain » que sont les États-Unis, celui qui s’apprête à habiter la fonction présidentielle eut inhibé son corps au nom d’un idéal supérieur. Le surmoi représentant cette instance psychique qui le ferait renoncer à extérioriser de cette façon certaines pulsions n’a pas fonctionné,
Il est possible que DSK se soit trouvé en porte-à-faux entre le désir de ses proches, de l’opinion publique, d’accéder à la magistrature suprême, et son propre engagement qui n’était pas au rendez-vous. Sa femme sur Canal+ quelques semaines auparavant faisait savoir qu’il souhaitait se présenter. Elle le voulait certainement. Pendant plusieurs mois, le message qui parvenait de Washington était : « Va-t-il y aller ou pas ? » S’il est vrai qu’il ne pouvait s’exprimer de la place qu’il occupait au FMI, aucun signe, aucun message, aucun souffle ne parvenait à créditer son envie de se présenter. Nous pensions qu’il entretenait le suspense. Force est, de supposer que DSK n’avait pas entretenu le suspense de façon tactique, mais de façon ambivalente, en raison du conflit psychique qui l’habitait concernant ce choix.
* Psychiatre psychanalyste, expert près la cour d’appel de Versailles
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