Des praticiens « contrôleurs des droits », une réforme « infaisable » ?
C’est le cauchemar de tout libéral : que la réforme du tiers payant généralisé à l’horizon 2017 se transforme, malgré les promesses ministérielles d’un système fiable et sécurisé, en un mécanisme instable et chronophage aboutissant de surcroît à des milliers d’euros de trésorerie égarés dans la nature.
Le gouvernement s’en défend. Face au tir de barrage de la droite et de la profession, Marisol Touraine a promis un mécanisme de dispense d’avance des frais « simple et intuitif », appelé à devenir « une banalité, une norme ». Le projet de loi adopté apporte, sur le papier, des garanties de délais de paiement et de lisibilité. « Il ne s’agit pas de généraliser le système actuel, qui pose un certain nombre de difficultés, a admis la ministre. Il s’agit de mettre en place un système nouveau, avec une gouvernance coordonnée par l’assurance-maladie (...) qui garantisse un paiement rapide – moins de sept jours – aux professionnels de santé. » Ce règlement arrivera « de façon unifiée, malade par malade ». Marisol Touraine juge même que le médecin gagnera du temps « dans la gestion de ses paiements »…
Les médecins ne croient pas à cette présentation idyllique. Ils font valoir que le gouvernement a écarté un amendement UMP visant à construire un flux unique de paiement (pour les parts obligatoire et complémentaire) sous l’égide de la CNAM.
La vérification des droits en amont est un autre casse-tête. Selon la CSMF, pour valider le tiers payant, le médecin devra s’assurer que son patient a respecté « quatre obligations » : respect du parcours de soins, droits Sécu à jour et au titre des complémentaires, voire autorisation de prélèvement des franchises sur son compte bancaire. MG France fait le même calcul et va plus loin. Il entend organiser le « refus du tiers payant généralisé » dès lors que « la surcharge administrative est certaine et la garantie d’être payé n’existe pas ». Le syndicat estime que les politiques ont lancé une injonction sans garanties et sans moyens, donc « infaisable ».
Un virage ambulatoire mal négocié ?
En réformant l’organisation territoriale des soins primaires, Marisol Touraine promettait d’assurer aux libéraux un cadre d’exercice attractif permettant de lutter contre la désertification médicale. L’objectif était surtout de concrétiser le fameux virage ambulatoire.
Las, faute de lisibilité et de moyens, la création de cet « étage » des soins de premier recours autour du médecin traitant risque de se transformer en coquille vide. Ou en usine à gaz.
Certes, l’option d’un service territorial aux mains des ARS n’a plus cours. La version finale consacre (premier échelon) des équipes de soins primaires (libéraux isolés ou regroupés en maison ou centre de santé, autour de médecins généralistes), à l’initiative des parcours de santé. Ces nouvelles équipes peuvent s’inscrire au sein de communautés professionnelles territoriales de santé (second niveau) – au même titre que les acteurs sociaux et médico-sociaux et la PMI. Les établissements peuvent s’y agréger sur décision de l’ARS. Les membres formalisent un projet de santé remis à l’ARS (qui prend la main en cas de défaut des libéraux).
Mais les généralistes restent très sceptiques sur ce modèle. « La prise en charge d’une grossesse pathologique s’organise entre le médecin traitant, la sage-femme et l’obstétricien, illustre le Dr Claude Leicher (MG France). L’hôpital ou les acteurs médico-sociaux ne doivent pas intervenir au même niveau de décision. Jamais les généralistes ne travailleront dans un tel dispositif ! ». Le syndicat redoute un « machin » ingouvernable et le retour de l’ARS gestionnaire. Le Dr Luc Duquesnel (UNOF-CSMF) craint un système « pas du tout attractif » pour des professionnels « noyés ». « Il manque un étage spécifique aux spécialistes, maillon bien plus essentiel pour nous que le médico-social », s’agace-t-il. Reste surtout un énorme point d’interrogation : l’absence de moyens pour renforcer le rôle pivot du généraliste et la coordination libérale des professionnels isolés.
La transparence parachevée, à tout prix ?
Voulue par la loi Bertrand (2011), édulcorée par un décret de mai 2013 (censuré), la transparence des rémunérations versées par les laboratoires aux professionnels de santé a été gravée dans le marbre de la loi avec une portée renforcée.
Dans le cadre de ce nouveau « Sunshine Act », c’est l’ensemble des rémunérations versées aux professionnels par les laboratoires dans le cadre de conventions (contrats, missions) qui devront désormais être publiées sur le site public gouvernemental (www.transparence.gouv.fr). Ces informations pourront être exploitées par un tiers. Jusque-là, seuls les avantages directs consentis notamment au titre de l’hospitalité (repas, frais d’hébergement ou de transport) étaient publiés. La question de la préservation du secret commercial et industriel reste posée par la publication et l’exploitation de ces informations.
Dans la même veine, la publication des déclarations d’intérêt (des experts du médicament, membres des cabinets…) devra englober toutes les rémunérations perçues au titre de ces liens d’intérêts.
Autre décision : la loi oblige chaque agence sanitaire à créer un poste de « déontologue ». En pratique, cela signifie que l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), l’Établissement français du sang, l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’Institut national du cancer (INCa), l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), et beaucoup d’autres encore, devront se doter d’un déontologue chargé d’établir un rapport annuel, rendu public. Cette quête de transparence absolue, dans un climat de révélations sur des liens suspects entre experts et laboratoires (lire aussi page 6), est-elle le juste point d’équilibre ? « Le dispositif est de nature à parachever une grande politique de la transparence », a assuré Marisol Touraine.
40 ans après la loi Veil, l’IVG soulève encore les passions
Les députés ont adopté l’article 17 bis supprimant le délai de réflexion de 7 jours entre la première et la deuxième consultation pour une interruption volontaire de grossesse (IVG) au terme de longs et vifs débats idéologiques. Les opposants (UMP, UDI) à la suppression de ce délai légal de réflexion ont dénoncé la rupture de l’équilibre de la loi Veil et une banalisation de l’IVG, au profit de la seule liberté de la femme et au détriment de la protection de la vie. D’autres ont regretté qu’une telle mesure ait été introduite (par la présidente de la délégation aux droits des femmes Catherine Coutelle) par amendement en commission des affaires sociales, et soit examinée dans le cadre d’une procédure accélérée.
En réponse, les partisans de la suppression du délai légal, à commencer par Marisol Touraine, ont défendu une évolution de la loi Veil en accord avec la société, et la nécessité de mettre fin à la stigmatisation de l’IVG comme un acte à part, source de culpabilité voire d’infantilisation pour les femmes. Marisol Touraine avait néanmoins renoncé en commission des affaires sociales à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG, qui s’ajoute à la clause valant pour tous les actes médicaux, jugeant le moment inopportun.
Afin de favoriser l’accès à l’IVG, les députés ont adopté un amendement socialiste autorisant les centres de santé à pratiquer des IVG instrumentales, par aspiration, dans les conditions définies par la Haute autorité de santé. Les sages-femmes pourront, elles, pratiquer des IVG médicamenteuses (article 31). Les femmes devront être informées sur toutes les méthodes abortives par les professionnels de santé, afin d’avoir entière liberté de choix.
Salles de consommation de drogue résistent à une pluie d’amendements
Il aura fallu une heure et demie de discussions en commission, suivie de quatre heures de débats dans l’hémicycle, pour voter l’article 9 qui autorise l’expérimentation des salles de consommation de drogues injectables à moindre risque. La mesure était emblématique, un « marqueur idéologique de la gauche », selon l’expression du député Pierre Lellouche (UMP). Si le texte reste en l’état, une période d’expérimentation de 6 ans commencera à compter de l’ouverture de la première salle.
Un grand nombre d’amendements ont été déposés, principalement pour demander la suppression de l’article 9 et la réorientation des sommes prévues pour financer les expérimentations (800 000 euros par an et par salle) vers le développement de dispositifs existants comme les appartements thérapeutiques. Une modification importante reste néanmoins l’inclusion de ces dispositifs dans les programmes de veille sur les substances en circulation : Trend et SINTES.
Les projets de salles de consommation les plus avancés sont celui du 10e arrondissement parisien porté par l’association Gaïa (Médecin du Monde) et celui de la salle de consommation mobile porté par le comité d’étude et d’information sur la drogue et les addictions (CEID), à Bordeaux.
Indissociable de l’article 9, l’article 8 a également fait l’objet d’un vif débat avant d’être adopté. Son but est de sécuriser juridiquement les actions menées auprès des usagers de drogues, et notamment de protéger les personnels des Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction (CAARUD) qui seront amenés à travailler au sein des salles de consommation à moindre risque.
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