Les questions des internautes du Quotidien du Médecin.fr :
La médecine régénérative fera-t-elle disparaître le handicap ?
Réponse du Pr Jean-Daniel Tissot : En partie oui ; mais la notion d’’handicap recouvre dans son terme trop de notions différentes. Ce terme est global et riche (riche de souffrance) : général et trop remplis d’images de dysfonctions ; la médecine régénérative avec les cellules souches et les IPS est déjà présente : insuffisance cardiaque, fente labo-palatine, reconstitution d’organes comme le rein, la peau. Les IPS peuvent être sources de globules rouges, la transplantation de moelle, créant des êtres hybrides est curative.
Les cellules fœtales sont utilisée dans la maladie de Parkinson : oui, nous avons le potentiel en nous de nous reconstruire, tout ou partie : tant de thèmes remplis d’espoir et de limites. Les salamandres, les hydres sont de bons exemples de la nature. Les méduses sont un autre exemple. Tout est déjà dans la nature, pas encore dans la médecine. Le spécialiste de ce thème est Patrick Berche.
Réponse de Sabin Waeber : C’est au début des années 2000 que l’on a commencé à réellement parler de médecine régénérative et de cellules souches. L’idée étant qu’en injectant des cellules souches, capables de se différencier en n’importe lequel des tissus, elles pourraient ainsi régénérer ce qui est défaillant. La recherche sur les cellules souches se dirige aujourd’hui sur une stimulation des cellules souches déjà présentes dans notre organisme pour récupérer les fonctions d’un tissu dysfonctionnel. Nous avons naturellement des cellules souches dans notre corps, qui participent à un équilibre finement régulé : par exemple le renouvellement des cellules intestinales tous les 3 jours. Les applications espérées comportent en autres la régénération du muscle cardiaque après un infarctus, ou la restauration d’un pancréas compétent chez des patients diabétiques. Ce sont donc des maladies ou des états pathologiques qui sont principalement objets de recherches. On pourrait pourtant imaginer ces développements au service d’un « homme augmenté », « dopé » avec des cellules souches pour avoir un cœur plus musclé et améliorer ses performances sportives, ou un pancréas hyper-producteur d’insuline pour augmenter la captation du sucre absorbé… Concernant le handicap, il me semble qu’on ne peut pas le considérer comme une « maladie », mais plutôt l’envisager comme une limitation des possibilités d’interaction de l’individu avec son environnement (ex : surdité). Dans ce sens, ce n’est pas le rôle de la médecine de soigner ou « régénérer » le handicap, mais plutôt à la société de permettre l’épanouissement des individus dans leurs différences. Toutefois, nous ne cessons d’améliorer nos possibilités de reconstruire un corps blessé, avec l’exemple récent d’une oreille greffée sur une jeune femme en Belgique. Celle-ci avait eu l’oreille amputée et l’a récupérée à partir d’une prothèse implantée dans son avant bras autour de laquelle s’est reconstitué l’organe ensuite greffé.
Comment envisager la dimension psychiatrique de l'immortalité ?
JDT : Thème traité dans notre collectif par Jacques besson. Pathologies avec arrêt du temps, expression de psychoses et délires, pathologies mystiques et religieuses, mort imminente ; c’est une relation du psychisme au temps. La psychanalyse est importante et la notion de temps tellement variable. Mais la peur de la mort, la peur de la peur de la mort sont des thèmes majeurs de la psychologie et de la philosophie…
SW : Le concept d’immortalité me semble intrinsèquement lié aux concepts de temporalité et de finitude. Lors de ma brève exposition en milieu psychiatrique durant mes études de médecine, j’ai été surprise du sentiment de toute-puissance et d’invincibilité de patients en phase maniaque, induisant des prises de risque menaçant leur vie, comme s’ils étaient immortels : inconscients de leur finitude. Certains délires psychotiques exploraient aussi le domaine mystique et l’absence de limite temporelle.
A l’extrême opposé, les angoisses de mort et la peur de la destruction du corps habitaient aussi certains patients, donnant souvent lieu à des rituels pour conjurer la perte de contrôle et la fragilité de notre être physique.
Parler d’immortalité permet aussi de réfléchir aux concepts d’hérédité génétique et d’immortalisation de notre génome par le fait d’avoir une descendance. Depuis la découverte de l’épigénétique (mécanismes de modifications de l’expression des gènes, associés à des facteurs environnementaux, n’atteignant pas le génome lui-même et revêtant ainsi un caractère réversible), la genèse des pathologies est interrogée différemment. L’environnement est ainsi fondamental dans le développement de certaines maladies, dont des pathologies psychiatriques. Le stress infantile ou la maltraitance sont actuellement évoqués comme facteurs contribuant à des troubles psychiatriques chez l’adulte. De plus, certains médicaments psychiatriques (antidépresseurs par exemple) ont aussi des effets épigénétiques indésirables.
La piste du cerveau artificiel (Blue Brain Project) est-elle prometteuse ?
JDT : Question terrible. Le cerveau hors du cerveau, la pensée hors de la pensée. Ces promesses renvoient toutes à une immortalité immatérielle dans la matière et non dans le vie. L’immortalité est collective et non individuelle. Une machine ne sera jamais remplie du tout. L’intelligence de l’homme est une abstraction et l’ensemble. Un homme seul, même intelligent est inutile. L’intelligence collective, remplies d’étincelles individuelles (créativité) sont sources de progrès : une machine, je ne pense pas.
SW : Le projet ambitieux de faire une reconstruction digitale de la complexité du cerveau et de ses connexions pour expliquer le fonctionnement de l’homme est certes fascinant, mais croire que la pensée et sa richesse sont cantonnés à une localisation cérébrale me semble pourtant réducteur. Je fais le postulat que l’homme est à la fois corps, âme et esprit, et que même si nous pouvons identifier les zones cérébrales activées lors d’un mouvement, d’une émotion ou d’un raisonnement, nous n’arriverons probablement jamais à expliquer les différences interindividuelles de caractères, ou encore la spiritualité. Et réduire l’homme à son cerveau-c’est-à-dire à de la matière - exclut aussi l’existence d’une vie au-delà de la mort.
Imaginer que l’on pourra un jour enfermer l’esprit humain et la complexité de la pensée dans un ordinateur (et inversement : programmer et prédire la pensée à partir d’un objet) semble impossible. Je trouve intéressante l’hypothèse philosophique de « l’émergence », que l’on peut résumer par la sentence « le tout est plus que la somme des parties ». Ainsi, la pensée humaine (« le tout ») n’étant pas déchiffrée elle-même, comment imaginer que disséquer les propriétés fondamentales du cerveau (« les parties ») nous permettra d’appréhender ce qu’est l’esprit ? La pensée ou l’esprit me semblent donc être des propriétés pouvant être qualifiées d’émergentes : si elles découlent de propriétés plus fondamentales, elles demeurent pourtant irréductibles à celles-ci.
Nanorobots et nanotechnologies seront-ils une arme anti-vieillissement ?
JDT : Oui, en déchargeant les organes et en soulageant la fonction des organes. Mais ce sont des armes qui ressemblent à Janus, deux visages ; leur toxicité n’est pas connue, leur pouvoir est mystérieux : avoir une main pleine de force qui remplace la main
SW : Nanorobots, nanoélectrique, nanomédecine… Toutes ces technologies semblent très prometteuses et réellement dignes d’intérêt, en témoignent le nombre impressionnant de startups surfant sur cette vague. Elles intègrent biologie, physique, chimie et ingénierie et semblent étendre le champ de leurs possibilités à tous les domaines. Plusieurs groupes de recherche travaillent sur des nanotechnologies dans l’idée de ralentir le vieillissement : une véritable fontaine de jouvence contenue dans des molécules ! Ces nanoparticules seraient alors capables de neutraliser des processus cellulaires responsables du vieillissement, ou encore d’éliminer des cellules vieillissantes sélectivement (par exemple éliminer des cellules cancéreuses ou atteintes d’Alzheimer).
Je recommande le livre d’Eric Drexler publié en 1986, Engines of Creation sur le sujet, dans une approche scientifico-philosophique de ce qu’il imaginait être le devenir des nanotechnologies à l’époque.
Est-ce dangereux de ne pas sembler avoir l’âge de ses artères ?
JDT : L’âme seule est importante : nos artères servent au cerveau. La pensée doit être vivante et vivifiante. Stefan Hawkins est l’exemple même de la relation cerveau – pensée – corps. Ce qui importe, ce ne sont pas nos artère, mais la capacité à être heureux, la qualité de la vie, pas du débit cardiaque, être capable d’éliminer la souffrance, dans toutes les dimensions de la santé (physique, psychique, sociale, et spirituelle).
SW : Il existe des scores pour estimer l’âge de nos artères, qui tiennent compte des facteurs de risque cardiovasculaire (tabac, hypertension, hypercholestérolémie, etc). Ils ont été élaborés pour la plupart à partir de la célèbre étude de Framingham menée aux USA. Ce qui est encourageant, c’est que ces facteurs sont pour la plupart modifiables par notre style de vie et/ou par des médicaments. En plus de ces facteurs de risque aujourd’hui bien connus, nous découvrons actuellement des modifications épigénétiques influençant elles-aussi la fonction vasculaire. Les mécanismes épigénétiques de régulation de nos gènes ne sont pas fixés et sont aussi susceptibles d’être modifiés par l’environnement. Ainsi, « l’âge de nos artères » semble plus susceptible à des modifications que notre âge chronologique.
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