« La Couleur de l’eau » (1) a obtenu 6 voix des dames du Femina contre les 5 accordées à « la Zone d’intérêt » de Martin Amis. C’est le deuxième livre traduit de Kerry Hudson après « Tony Hogan m’a payé un ice-cream avant de me piquer maman », un récit semi-autobiographique sur fond d’alcool, de drogue, de fins de mois difficiles et de beaux-pères de passage.
Cela commence comme une romance, entre un jeune homme venu d’une cité pauvre, devenu vigile dans un luxueux magasin londonien, et une jeune fille arrivée clandestinement de Russie. Mais leurs sentiments naissants sont entravés par leurs passés douloureux ; lui garde des séquelles d’une relation fusionnelle avec sa mère tandis qu’elle est tombée sous la coupe d’un réseau de prostitution mafieuse. Racontée avec réalisme, leur histoire est celle de deux exclus qui peinent à se découvrir pour mieux se reconstruire. Roman d’amour et roman social justement balancés.
Âgé de 39 ans, Hakan Günday est une étoile montante de la littérature turque. Il vit à Istanbul mais est francophone pour avoir fait ses études à Bruxelles où son père était diplomate. « Encore » (2), son troisième roman traduit (après « D’un extrême l’autre » et « Ziyan », qui a reçu le prix France-Turquie 2014), a reçu le Médicis du meilleur roman étranger après seulement un tour, par cinq voix contre deux pour Javier Cercas (« l’Imposteur), une pour Eirikur Orn Norddhahl (« Illska) et une pour Robert Seethaler (« Une vie entière »).
Son récit, une fiction à valeur parfois documentaire, est une sinistre descente aux enfers dans le business de la « viande sur pied », les immigrés clandestins qui transitent par la Turquie avant d’être transportés en Europe, à travers l’histoire de Gaza, un garçon qui, dès l’âge de 9 ans, a appris de son père, avec ses frères, le métier de passeur. De bourreau et d’assassin. Un enfant monstre qui est lui-même une victime et que le mal va grignoter jusqu’au point de non-retour. Paru il y a deux ans en Turquie, le roman, qui décortique le quotidien du trafic, les protections politiques et policières dont il dispose ainsi que les mécanismes de la peur et de la domination, est encore plus d’actualité aujourd’hui.
À signaler aussi le prix Renaudot du livre de poche, une heureuse initiative prise en 2009 encore méconnue. La lauréate 2015, déjà Goncourt de la poésie en 2011, est Vénus Khoury-Ghata, pour son roman « la Fiancée était à dos d’âne » (3), qui raconte les tribulations de Yudah, vendue par son père, le rabbin Haïm, pour être la quatrième épouse de l’émir Abdelkader. Elle croit quitter le désert pour un palais mais, après quinze ans de lutte contre le colonialisme français, le guerrier rend les armes. La jeune vierge n’a toujours pas vu l’émir et elle est emportée dans moult aventures qui font de sa vie un destin merveilleux.
Des essais diversifiés
À côté des romans français et étrangers, des essais ont été primés. Professeure d’histoire contemporaine à Science Po Paris, Emmanuelle Loyer a été couronnée dès le premier tour par le Femina pour son imposante biographie « Claude Levi-Strauss » (4), qui dévoile l’homme derrière le savant et qui brosse, au-delà du personnage, le portrait d’une époque. Elle déroule le film de sa vie (1908-2009) étape par étape, en s’appuyant notamment sur les archives personnelles de l’anthropologue et d’innombrables documents conservés à la BNF et jusque-là inédits, depuis sa jeunesse, que l’on peut découvrir de l’intérieur grâce à la parution simultanée des « Lettres à ses parents ».
Le prix du meilleur essai Renaudot, « Leïlah Mahi 1932 » (5), est le résultat d’une enquête. Didier Blonde, qui nous avait habitués dans ses romans, ses nouvelles ou ses essais, à partir sur les traces de personnes disparues, célèbres ou anonymes (« l’Inconnue de la Seine »), est ici captivé par une jeune femme dont il a seulement vu le portrait, avec sa date de décès, le 12 août 1932, sur une plaque au columbarium du Père Lachaise. C’était en 2008. Il dépouille les archives, écrit aux administrations, pose des questions, il croit même avoir retrouvé son adresse parisienne. Mais les pistes se brouillent l’une après l’autre : il devient de plus en plus clair que son enquête porte autant sur lui que sur elle, sur ce que l’on retient ou ce qu’on oublie, volontairement ou pas.
Dans « Sauve qui peut la vie » (6), son 10e ouvrage, couronné du prix Médicis essai, la sociologue Nicole Lapierre s’appuie sur les drames qui ont émaillé l’histoire de sa famille (les suicides de sa sœur et de sa mère) et les tragédies de l’Histoire (son père était un Juif polonais qui a survécu aux persécutions et s’est exilé en France où il est devenu médecin) pour rejeter la tentation de la victimisation et inviter à l’action. Elle s’élève contre « une conception inexorable de l’histoire, axée sur l’hérédité du malheur, les déterminations sociales implacables, les assignations identitaires, les places gardées et étroitement surveillées ». Elle évoque en particulier le sort des immigrés qui sont, pour elle, « les héros discrets des temps modernes », soulignant qu’il ne faut pas les considérer seulement comme des victimes car ils sont aussi les acteurs de leur propre histoire.
(2) Galaade, 372 p., 24 euros.
(3) Gallimard, collection Folio, 192 p., 6,40 euros.
(4 Flammarion, 864 p., 32 euros.
(5) Gallimard, 126 p., 15 euros.
(6) Seuil, 250 p., 17 euros.
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