Athlète, actrice et mannequin, Aimee Mullins a, de son propre aveu, un « corps au potentiel unique ». Elle a douze paires de jambes, et rien d'une « handicapée », raconte-t-elle. La femme augmentée est l'avenir de l'homme, semble-t-elle répondre à Aragon. Le transhumanisme promet d'améliorer notre condition, estiment ses partisans.
Président de l'association française transhumaniste Technoprog, Marc Roux présente ce courant comme le résultat d'évidences : l'humain n'est pas fixe, il n'a cessé de changer de concert avec ses outils. Grâce aux nouvelles technologies, il peut impulser des évolutions inédites. Il se démarque des représentations fantasmées du transhumanisme et des provocations de précurseurs américains : « Le transhumanisme réel ne propose pas l'immortalité absolue, ni l'abolition des limites. Mais l'extension radicale de la vie en bonne santé », explique Marc Roux. Et d'inscrire dans le cahier des charges de Technoprog le souci de la démocratie, de la justice sociale, et des risques sanitaires, environnementaux ou sociétaux.
Quelle solidarité ?
Le transhumanisme ne serait-il qu'une évolution historique comme une autre (à l'instar de l'invention de l'imprimerie ou l'arrivée de la locomotive) ? « Je ne sais pas s'il y a un changement de nature dans ces nouvelles technologies. Mais il y a assurément un risque sans précédent, pour notre société, de rupture des mécanismes de solidarité » avance Brigitte Dormont, économiste et titulaire de la chaire Santé de la Fondation du risque. Rien que dans le curatif, des innovations (sofosbuvir, thérapies ciblées) changent déjà les paradigmes et sollicitent des mécanismes de financements inédits. « Où se positionneront les produits du transhumanisme : dans le panier de soins, ou en dehors ? » s'interroge l'économiste.
Au-delà de la justice sociale, le transhumanisme bouleverserait la définition même de la santé, selon le philosophe Jean-Michel Besnier. Jadis silence des organes, elle est depuis 1946 un état de bien-être physique, mental et social selon l'Organisation mondiale de la santé. Et deviendrait, suivant la courbe du transhumanisme, le garant des performances d'un homme « boosté », substituant au passage l'ingénieur expert en données au médecin. « La prothèse ne sert plus à rester dans la norme du valide, mais à transgresser l'humain, à augmenter les attributs de l'individu » au détriment de la solidarité, assure Jean-Michel Besnier. Interprétant le transhumanisme comme le symptôme de notre désaffection de l'humain, le philosophe est sombre : « Nous n'avons pas foi dans le progrès, mais dans la machine. La cyborgisation est la tentative d'en finir avec soi-même », dit-il.
Les chercheurs et la dure réalité des prothèses
Est-on à l'orée d'un changement d'épistémê ? Pour les chercheurs, ces discussions sont byzantines. « Il y un fossé entre l'imaginaire technologique, et la réalité technique », remet à plat Nathanël Jarrassé, chargé de recherche CNRS à l'Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR) de l'Institut Pierre et Marie Curie. « Malgré ses 12 paires de jambes, Aimee Mullins n'a pas la polyvalence du corps » note-t-il. Sans compter les obstacles techniques : « Les prothèses qui se placent au-dessus du genou sont beaucoup plus compliquées. On parle de litres de sueur qui s'écoulent du moignon », poursuit-il. Très concrètement, les chercheurs travaillent d'arrache-pied à améliorer les interfaces entre le corps et la prothèse, le contrôle de cette dernière, et la bilatéralité des messages. « Dans le toucher, le retour sensoriel à la personne est encore très pauvre », regrette-t-il.
De même, le neurobiologiste Serge Picaud, directeur de recherche à l'Institut de la vision, se veut modeste dans ses travaux sur l'implant de rétine artificielle ou sur l'optogénétique (l'introduction dans les neurones de la rétine d'une protéine photosensible issue d'une algue ou d'une bactérie). « Nous espérons restaurer une vision utile aux patients atteints de rétinopathie pigmentaire ou de DMLA. Nous sommes loin de vouloir transformer l'humain » dit Serge Picaud. « Le fantasme du transhumanisme ne doit pas nous empêcher de résoudre des handicaps », s'inquiète-t-il, craignant des lendemains désenchantés pour des patients plein d'espoirs.
La chaire et l'homme
Si les prouesses techniques actuelles des prothèses semblent encore en deçà des idéaux véhiculées par le transhumanisme, il n'en est pas de même sur le terrain intellectuel, où les robots frisent la perfection. Ainsi DeepMind, le programme d'intelligence artificielle de Google, a-t-il triomphé du maître du jeu de Go, plus de 10 ans après la victoire d'IBM contre le champion d'échec Garry Kasparov.
Mais intelligence n'est pas sens. « On sait depuis 1980 que 2 % de notre génome nous sépare du chimpanzé. Je n'ai pas besoin de regarder l'organisation du cortex pour savoir que je suis humain », rassure Hervé Chneiwess, président du comité d'éthique de l'INSERM. « On est humain non en raison d'une capacité intrinsèque du cerveau, mais parce que les autres nous font humains, parce qu'on vit en société » développe le neurobiologiste.
Terminator et Robocop sont seuls. Ou entourés de répliques d'eux-mêmes, car quantifiables. « Les anges de fer n'aiment pas. Seule la chaire porte notre haine, nos émotions, notre sensualité, notre empathie. Et donc, la solidarité » souligne Brigitte Munier, sociologue de la culture. Tant que l'homme augmenté ne brillera pas par son humour, mais seulement par des variables quantifiables, l'humanité est sauve.
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