Loin de l'éteindre, la publication du « Lancet » sur la chloroquine et l'hydroxychloroquine (HCQ), qui a entraîné l'interdiction des traitements du Covid-19 par HCQ en France et la suspension des essais cliniques en France et dans plusieurs pays étrangers, a ravivé la controverse scientifique ainsi que les polémiques médiatiques.
Plus de 120 chercheurs, médecins, statisticiens, éthiciens, publient une lettre ouverte au Dr Mandeep Mehra et ses collègues, qui suggèrent, dans leur étude observationnelle, une surmortalité et un surrisque d'arythmie ventriculaire chez les patients Covid traités par chloroquine ou HCQ. Leur étude se fonde sur les données de quelque 96 000 patients, issues de la base « Surgical Outcome Collaborative », de l'entreprise américaine Surgisphere, rassemblant les données de 671 hôpitaux sur six continents.
« Le retentissement de cette étude a conduit de nombreux chercheurs à travers le monde à examiner minutieusement, en détail, la publication en question », écrivent les auteurs de cette lettre publiée ce 28 mai par l'épidémiologiste James Watson (Mahidol Oxford Tropical Medicine Research Unit). « Cet examen a soulevé à la fois des inquiétudes liées à la méthodologie et à l'intégrité des données », soulignent-ils avant de lister dix points problématiques.
Dix aspects contestables
Certains sont techniques : ajustement inadapté de plusieurs facteurs de confusion, problèmes sur certains intervalles de confiance, défaut d'examen éthique, variations étonnamment faibles entre les six continents en termes de variables de base, d'interventions et de résultats.
D'autres questionnements portent sur les sources : absence de la mention des pays et des hôpitaux qui ont fourni les données, absence des remerciements à l'égard des structures qui ont collaboré à l'étude (comme le veut la coutume), et refus de la part des auteurs d'apporter des précisions.
Les données relatives à l'Afrique (selon lesquelles 25 % de tous les cas de Covid et 40 % des décès sur le continent ont eu lieu dans des hôpitaux associés à Surgisphere, l'entreprise d'analyses de data sur laquelle s'appuie l'équipe du Dr Mehra) semblent « peu probables ». Quant à celles attribuées à l'Australie, elles ne coïncident pas avec celles des rapports officiels (elles sont supérieures). Un article du « Guardian » paru ce 28 mai rapporte aussi les interrogations des épidémiologistes australiens. La faute serait à mettre sur le compte d'un hôpital asiatique qui se serait trompé dans sa classification, a indiqué l'entreprise Surgisphere. « Cela souligne le besoin de vérification des erreurs dans l'ensemble de la base de données », lit-on dans la lettre.
Enfin, les auteurs de cette lettre s'interrogent sur le fait que les doses moyennes quotidiennes d'HCQ sont supérieures de 100 mg à celles des recommandations de la FDA, alors que 66 % des patients inclus dans l'étude sont issus d'Amérique du Nord. Et regrettent que les données et les codes utilisés pour produire les statistiques ne soient pas publiés.
Plaidoyer pour un partage de données et la transparence
Les scientifiques demandent que Surgisphere apporte des précisions sur ses données, en livrant au moins les données agrégées des patients à l'échelle d'un hôpital ; que l'étude bénéficie d'une validation indépendante, de la part d'une institution comme l'OMS ; et que les accords de partage de données soient en accès libre, afin de pouvoir s'assurer qu'elles ont été collectées dans un cadre légal et éthique respectueux. Enfin, ils demandent au « Lancet » de rendre accessibles les commentaires des pairs, sésame pour l'acceptation du manuscrit.
Parmi les signataires, l'on compte deux Français : Le Pr Djillali Annane (doyen de la faculté de médecine Simone Veil) et le Pr Philippe Parola, de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection de Marseille, dirigé par le Pr Raoult.
Mais tous les signataires ne font pas de l'HCQ une cause à défendre. « J'ai des doutes sérieux sur les bénéfices d'un traitement à la chloroquine/hydroxychloroquine contre le Covid-19 et j'ai hâte que cette histoire se termine, mais je crois que l'intégrité de la recherche ne peut pas être invoquée uniquement quand un article ne va pas dans le sens de nos préconceptions », a commenté sur Twitter un autre signataire le Pr François Balloux, du University College de Londres. Aussi, « c'est avec le cœur lourd que j'ai ajouté mon nom à la lettre ouverte », a-t-il ajouté.
S'il n'est pas signataire de la lettre ouverte, le Pr Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat) regrette dans « Le Monde » le manque de transparence des données de l'étude du « Lancet » : « Ce n’est pas normal. On s’est beaucoup battus pour que les données concernant l’épidémie soient disponibles, déclare-t-il. Il devrait être possible de rendre accessibles des données qui ne soient pas au niveau de l’hôpital pour éviter toute stigmatisation ».
Interrogé par l'AFP, le « Lancet » a indiqué avoir transmis les nombreuses questions sur l'étude à ses auteurs : « ils travaillent pour répondre aux problèmes soulevés ».
IHU Méditerranée Infection met en ligne l'abstract d'une nouvelle étude en faveur de l'HCQ
Grand pourfendeur de l'étude du « Lancet », le Pr Didier Raoult publie le 27 mai sur le site de l'IHU le résumé d'une étude de cohorte, incluant 3 737 patients traités à Marseille, dont 3 054 par HCQ + azithromycine pendant au moins 3 jours, et 683 par d'autres traitements. « Diagnostic précoce, isolement précoce et traitement précoce avec au moins 3 jours de HCQ-AZ conduisent à des résultats cliniques et une contagiosité significativement meilleurs chez les patients Covid. Le suivi à long terme pour dépister une fibrose sera le prochain défi », conclut l'étude. « Ni torsades de pointes, ni morts subites n'ont été à déplorer », insiste le Pr Raoult sur Twitter. Mais à ce jour, l'intégralité de l'étude n'est pas encore publiée.
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