Travailler ensemble sans esprit d'exclusive : sept prérequis nécessaires

Publié le 27/05/2022

Ce cardiologue qui fut membre du Collège de la HAS et copréside aujourd'hui la Fédération française des diabétiques (FFD) a fait partie en 2016 du Comité de pilotage de la Grande Conférence de santé convoquée par le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls. L'initiative avait été boudée par les syndicats de médecins libéraux. Le Dr Jean-François Thébaut s'en souvient et estime que, si l'opération a néanmoins débouché sur du concret, c'est aussi une question d'ouverture et d'état d'esprit.

Crédit photo : DR

J’ai participé, au titre de la Haute Autorité de Santé, au comité de pilotage de la Grande Conférence de Santé (GCS), convoquée à la demande de Manuel Valls. La GCS qui reposait sur un certain nombre de travaux préalables était sous la responsabilité de deux pilotes, la défunte madame Anne-Marie Brocas, présidente du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) et du Pr Lionel Collet, conseiller d’État, la coordination étant assurée par Stéphane Le Bouler, alors secrétaire général du HCAAM.

Contexte et objectifs

Le Premier ministre voulait ainsi rétablir le contact avec le milieu professionnel en particulier libéral qui s’était fortement mobilisé contre certaines mesures de la Loi dite de « modernisation de notre système de santé » portée par sa ministre Marisol Touraine. [1] On pouvait considérer que les travaux de la GCS se devaient de traiter de mesures peu abordées ou insuffisamment comprises inscrites dans cette Loi. Bref, d’apporter des réponses voire des pistes de réflexions pour poursuivre cette modernisation

J’avais d’ailleurs, à titre personnel, participé à l’une des quatre missions de concertation « d’amendements » de cette Loi sur des sujets polémiques. Notre groupe de travail avec Véronique Wallon avait permis de remplacer le concept de « Service Territorial de Santé », très mal accepté par les libéraux, par les devenues omniprésentes Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS).

La lettre de mission du Premier ministre fixait des finalités claires mais très ambitieuses autour d’axes législatifs qui s’inscrivaient dans les suites de la Stratégie Nationale de Santé inscrite dans cette loi : adapter le modèle d’organisation hospitalière issu de la grande réforme de 1958, dans une démarche de transformation progressive, cohérente avec la transition épidémiologique ; repenser de façon prospective l’articulation entre soin, enseignement et recherche, afin de continuer de garantir l’excellence et de favoriser le progrès et l’innovation dans le domaine de la santé ; assurer la cohérence des réformes engagées, en matière de formation d’une part, de métiers, de conditions d’exercice et de mode de rémunération d’autre part et en particulier, mieux organiser les complémentarités au sein des professions et entre elles ; prendre en compte les attentes des acteurs du monde de la santé face à l’évolution des métiers, des parcours professionnels et des conditions de travail.

Les pilotes avaient proposé trois axes principaux : articuler les soins dispensés en ville et la prise en charge à l'hôpital pour réussir le « virage ambulatoire » ; favoriser le décloisonnement interprofessionnel tant au stade de la formation qu’au moment de l’exercice du métier, pour faire du travail en équipes pluri-professionnelles la référence en matière d’offre de soins ; donner un sens nouveau à l’éducation à la santé et à la prévention

Les travaux ont démarré le 3 juillet 2015 et se sont terminés lors d’une séance magistrale de conclusions au CESE le 11 février 2016 autour de 22 mesures. L’avant-dernière vient d'ailleurs de rentrer dans sa phase active par la publication du décret sur la mise en place du Conseil National de Certification Périodique dont le président n’est autre que le professeur Lionel Collet

Consensus sur la méthode

Autant le contexte des négociations et concertations autour de la préparation de la Loi était tendu et contradictoire, autant la méthode de travail et les thèmes proposés ont fait l’objet d’un travail collaboratif consensuel : formations initiale (aux différents cycles) et continue (théorique et pratique, médicale et paramédicale) ; recherche Métiers (activité, pratiques, compétences, responsabilité) ; parcours professionnels (modes d’exercice, modalités d’installation, modes de rémunération, protection sociale).

Le mode de fonctionnement était classique avec un comité de pilotage, une plénière constituée des représentants des principaux acteurs et des groupes de travail (GT) thématiques composés de toutes les parties prenantes dont l’un était piloté par Olivier Véran.

D'indispensables prérequis

De ma participation la GCS, je retiendrais sept enseignements

1) Comme souvent, l’objectif de cet exercice tient dans une volonté politique d’essayer d’apporter des réponses à une situation de crise. La grande concertation à venir voulue par le président de la République est la preuve a posteriori des limites du récent Ségur. En effet, il semble n’avoir proposé que des réponses partielles à la crise hospitalière sans réellement aborder celle de la prise en charge ambulatoire. Il est donc nécessaire d’y inscrire sans tabou les questions qui fâchent. Faute de quoi il n’en ressortira que frustration et mécontentements

2) Le choix des protagonistes est essentiel. Les pilotes doivent être légitimes et rompus à ce type d’exercice. Peu importe leurs titres et fonctions antérieures, ce qui compte c’est leur qualité d’écoute et leur capacité à construire du consensus sans forcément se conformer à la commande politique et bien sûr la connaissance parfaite des enjeux et des protagonistes. Ils ne doivent avoir aucun conflit d’intérêts et surtout ne pas porter l’opinion spécifique d’une institution. Le comité de pilotage doit être reconnu par ses pairs. Aucune partie prenante ne doit être exclue, y compris du fait de son opposition. Je dirais même plus, au contraire.

3) Le mode de travail ne doit pas être trop contraint, notamment dans les délais, de manière à laisser toutes les opinions s’exprimer et laisser le temps de digérer et d’amender les propositions des groupes de travail puis les conclusions des rapporteurs.

4) Les rapporteurs se doivent de rapporter la position du groupe et ne pas « être la voix de son maître ». Trop souvent, le rapporteur essaie de conforter le donneur d’ordre et propose des textes qui ne retracent pas la teneur des débats.

5) Toutes les contributions des parties prenantes doivent être prises en compte. Faute de quoi les opinions contradictoires risquent de s’exprimer ensuite et en dehors, dans la presse, par exemple.

6) Il convient de ne jamais refuser des propositions innovantes même si elles ne faisaient pas partie de la commande. Ainsi par exemple le principe d’une recertification des médecins a fait irruption dans les conclusions de la GCS.

7) Il est très important que les acteurs participants à ces travaux aient le sentiment que les propositions seront suivies de mesures effectives faute de laisser place à une frustration importante pour les parties prenantes. C’est le cas particulier des consultations qui ont lieu sous forme d’auditions dont les contributeurs ne sont parfois même pas nommés  dans le rapport final. Et c’est encore plus vrai lorsque ces auditions ont lieu sous forme collective, voire même parfois maintenant en mode visio !

En conclusion, très souvent ces conférences sont perçues comme un moment de réflexion collective passionnant mais malheureusement non suivi de mise en œuvre. De ce point de vue, la GCS constitue un heureux contre exemple car un grand nombre de mesures proposées ont été mises en oeuvre dans différentes dispositions législatives ou réglementaires. Puisse la grande concertation annoncée suivre le même chemin.

Retrouvez notre débat sur la grande concertation

 

[1] La loi 2016-41 devait être publiée peu avant la clôture de la GCS le 26 janvier 2016

 

Dr Jean-François Thébaut

Source : Le Quotidien du médecin