La santé représente sans aucun doute l'une des principales préoccupations des Français. Sur ce point au moins les sondages sont convergents et rendent vraiment compte de l'opinion publique. Tous les politiciens ont bien conscience de ce grand intérêt de la population pour la santé.
Elle est pourtant très souvent absente du débat politique et elle figure rarement dans les propositions et projets des candidats aux élections. Il ne faut pas aller chercher très loin les raisons de ce paradoxe. La santé fait peur aux élus. Ils la connaissent mal et ne savent en général pas par quel bout la prendre. Le candidat François Fillon en a fait l'expérience à ses dépens dans la campagne présidentielle. Lui qui pensait faire preuve de bon sens et de courage en affichant sa détermination à changer les choses a dû faire marche arrière. Qui s'y frotte s'y pique. En politicien expérimenté, il aurait dû le savoir.
L’idée en apparence simple et logique de proposer la fin de la prise en charge du « petit risque » par la Sécu pour en réduire le déficit chronique a provoqué un véritable tollé. Il est vrai que la notion de « petit risque » est par elle-même mal définie et ambiguë, mais pourtant c’est déjà bien une réalité de tous les jours, pas explicite, dans notre pays : la Sécu couvre très bien les soins pour les maladies chroniques, graves, de longue durée, soignées à l’hôpital, alors que les soins et services de santé des petits maux de tous les jours, soignés en ville, ou ceux du vieillissement et de la dépendance, sont moins bien couverts et font beaucoup plus intervenir les mutuelles et assurances complémentaires… ou directement le porte-monnaie des citoyens.
Mais poser ça sur la table comme une idée isolée et innovante de campagne électorale était un faux pas et pour marquer le coup les autres candidats ont martelé leur attachement au système « historique » de protection sociale, tout pour tous, chacun avançant alors quelques priorités qu'ils pensent électoralement payantes. Pour l'un c'est la prévention qui serait la bonne solution… et tant qu’on entre pas dans le détail de ce que ça veut dire tout le monde applaudit. Un autre donne la préférence aux personnes âgées et là encore si on ne chiffre pas le coût des mesures, l’adhésion est unanime. Etc.
Serait-il donc impossible de réformer en profondeur et durablement notre système de santé, ce que tous les professionnels de l’analyse de notre système reconnaissent comme indispensable et urgent ? Les Français le considèrent-ils si parfait aujourd’hui qu'ils ne veulent surtout pas qu'on y touche ? Pourtant ils n’hésitent pas eux-mêmes à le critiquer même s’ils le perçoivent à juste titre comme très protecteur. Ils craignent de le voir détérioré par des réformes qu'ils jugent restrictives et dont ils ne perçoivent ni le fondement ni la vision. On peut tout à fait les comprendre. Proposer des changements ponctuels sans expliquer leur impact sur l'ensemble du système est une mauvaise méthode pour le reformer. C'est pourtant celle que nos politiques adoptent souvent quand ils osent intervenir dans le domaine. Pas étonnant que leurs « réformes » soient incomprises, voire rejetées. Que suggérer à un candidat motivé par le sujet et suffisamment téméraire pour le porter à son terme ?
Nous tenterons un premier conseil : confronter chaque changement proposé aux valeurs qui sous-tendent le système et s'assurer qu'elles en sortent renforcées et non remises en cause. L'OMS le rappelle dans sa charte sur le renforcement des systèmes de santé (Tallinn 2008). Ces valeurs en Europe sont : la solidarité, l’équité et la participation des citoyens. Aller jusqu’au bout de la non prise en charge des « petits risques » par la Sécu s'opposait aux trois valeurs, ce d’autant plus que la définition de ce « petit risque » n’était pas faite : mesure non solidaire, inéquitable et non transparente « aux citoyens » puisque décidée en petit comité « électoral » sans discussion ni consultation. Elle n'avait aucune chance d’être acceptée dans ces conditions.
Rendre explicites ces valeurs fondamentales doit aider à expliquer aux citoyens comment lire, comprendre et analyser le système pour leur permettre d’y jouer un rôle et d'en influencer le fonctionnement. C'est la condition sine qua non pour les voir soutenir les réformes proposées.
Un système dont les bases dates du milieu du siècle dernier
Il n’y a pas de doute sur le fait que le système de santé français est un bon système. Il a même été classé comme le meilleur du monde par l'OMS en 2001. Mais ses bases datent du milieu du siècle dernier et les indicateurs utilisés pour le classement en 2001 ont changé. Le système a besoin, tout en préservant ses atouts, de s'adapter aux évolutions de la science médicale, de la démographie, des connaissances en santé publique, des attentes nouvelles des citoyens et aussi de prendre en compte la situation économique d'aujourd'hui.
Quel processus peut-on suggérer pour relever ce grand défi ? En premier lieu il faut poser l’ensemble des questions et challenges sur la table de façon transparente.
Puis aller voir ailleurs ce que d’autres font en matière :
- d’accessibilité réelle du système, en particulier pour les populations défavorisées,
- de qualité des services, que ce soit pour les soins comme pour la prévention,
- de bonne gestion des personnels et des finances,
- et d'information et de participation effective des citoyens.
Un autre sujet est la capacité de réponse aux crises sanitaires, avec enfin l’acceptation que cela doit se faire en lien avec les autres pays voisins et plus lointains, en particulier dans le cadre des instances européennes mais aussi du règlement sanitaire international piloté par l’OMS.
S'ouvrir à d'autres facteurs de risques
Il faut surtout inscrire les réformes dans une approche large du système qui dépasse les seuls soins et la prévention médicale pour s'ouvrir aux facteurs de risques et aux modes de vie qui influencent la santé des gens, que ce soient le tabagisme, l'alcool, la nutrition, le travail, la sédentarité ou les pollutions diverses.
Il faudra pour ça plus de courage aux politiciens qu'ils n'en montrent aujourd’hui pour oser s'attaquer vraiment aux puissants lobbies multinationaux (dont certains d’origine nationale) qui sont les producteurs de ces risques. Il faut dire que beaucoup sont plus riches (par leur chiffre d’affaires) que nombre de pays dans le monde (par leur PIB).
Il leur faudra aussi être assez téméraire pour sortir du clientélisme électoral en dépassant le conservatisme des professionnels, en réorganisant le système sans s‘arrêter aux dispositifs en place, en cessant de jouer l’hôpital contre la ville, le public contre le privé, les corps professionnels constitués les uns contre les autres, etc. Comment intégrer la complexité du système et donc la subtilité nécessaire à sa réforme avec des besoins d’expertise forts, tout en donnant plus de pouvoir de participation aux décisions aux patients et aux citoyens ? Il faudra s'appuyer sur les opportunités offertes par les nouvelles technologies de l'information, en maîtrisant le cas échéant leurs effets secondaires négatifs et en gardant en mémoire des expériences pratiques intéressantes de partage de l’information et de débats avec les citoyens : qui se souvient des États Généraux de la Santé en 1999 ? Sans suites malheureusement.
Enfin invitons les aussi à dépasser le cadre étroit de l’hexagone pour développer la solidarité internationale pour la santé et aider les pays en développement à renforcer leurs systèmes de santé. Si les pays riches ne le font pas avec le cœur, ils devraient au moins le faire pour préserver leur propre sécurité. Comme l'ont montré les multiples crises sanitaires de ces dernières années, un pays au système de santé défaillant peut mettre en danger la planète entière.
En clair, il faut des programmes ambitieux dignes de ce que nos concitoyens attendent à juste titre de leurs candidats. Et cela demande de sortir de leur cadre temporel et géographique habituel et du microcosme de quelques conseillers immortels. Une vraie réforme pour réussir doit s'étaler sur des années et il faut y associer largement la population, ce qui demande de l’informer « honnêtement », mais aussi de l’amener à mieux en comprendre les enjeux : formation et information, débats répétés sur les controverses et surtout ne pas éviter systématiquement les « sujets qui fâchent », comme par exemple le financement de la Sécu ou les consommations de cannabis.
Bien entendu cette démarche pour être honnête doit être suivie, évaluée et enrichie par une information du public sur les recherches et les bonnes pratiques dans les autres pays, en évolution eux aussi.
Nous n’en attendons pas moins d’un bon candidat « favorable à la santé ».
*Ex-directeur régional de l’OMS pour l’Europe, médecin de santé publique
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