LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur le projet d’inscription du paracétamol au répertoire générique ?
CHRISTIAN LAJOUX : Les enjeux de l’inscription du paracétamol au répertoire sont extrêmement lourds. Le Doliprane est vendu à 1,95 euro la boîte en officine, et sort de nos usines à 86 centimes. Ce qui signifie qu’on a très peu de flexibilité sur le prix, même si la baisse de prix fait l’objet d’une discussion avec le CEPS [comité économique des produits de santé]. Nous sommes d’accord avec le principe d’une baisse qui nous alignerait sur le prix des génériques. Au passage, le Doliprane a déjà baissé son prix de 30 % depuis 10 ans !
Quand l’assurance-maladie affirme que le Doliprane lui coûte cher, ce n’est pas sérieux. Il vaut mieux que les patients prennent des médicaments efficaces et pas chers plutôt que des produits plus chers et avec effets secondaires. Cette volonté d’inscription au répertoire est une démarche idéologique. Elle ne fera pas gagner d’argent à l’assurance-maladie, n’apportera rien au patient, mais va mettre en péril les emplois de Sanofi sur le territoire.
Dans quelles proportions ?
Sanofi vend 250 millions de boîtes de Doliprane chaque année, ce qui représente environ 40 % du marché. Dès l’instant où il y a ouverture du répertoire, il y a substitution à 80 %... Et 80 % de 250 millions de boîtes, ça coûtera à Sanofi entre 160 et 180 millions d’euros sur les 3 prochaines années. Cela met en danger 600 emplois sur nos trois sites qui produisent le Doliprane : Lisieux, entièrement consacré à sa production, Compiègne qui se consacre à 20 % au Doliprane, et Amilly qui est notre site de distribution.
Si la décision était prise, quelles seraient les conséquences concrètes ?
Cela entraînerait de facto la délocalisation de la production de Doliprane vers un de nos sites hors de nos frontières. Il faut mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités : à coût de Doliprane équivalent, veulent-ils créer de l’emploi en France ou en Inde ? S’il n’y a plus de production sur le site de Lisieux, si on perd 20 % de production sur celui de Compiègne et s’il n’y a plus rien ou presque à distribuer sur Amilly, il y aura mécaniquement des pertes d’emplois.
Quelles sont vos solutions ? Sanofi a proposé un déremboursement du paracétamol...
Oui. Plutôt que de jouer avec les équilibres économiques d’une entreprise, on pourrait réfléchir à la possibilité de commercialiser le paracétamol dans le cadre d’une automédication maîtrisée. Nous avons fait cette suggestion au ministère de la Santé. Il ne s’agirait pas de dérembourser toutes les formes et toutes les indications du paracétamol. On pourrait maintenir le remboursement dans des pathologies lourdes comme l’arthrose, et dérembourser des modes de consommation plus courants. Il y a là la possibilité pour l’assurance-maladie d’économiser 300 à 400 millions d’euros dans le cadre d’une automédication maîtrisée.
Qu’avez-vous fait valoir à l’Agence nationale de sécurité du médicament ?
Outre les enjeux en matière d’emploi, nous avons attiré son attention sur le fait qu’il n’y a aujourd’hui ni uniformité, ni cohérence entre les différentes présentations du paracétamol. Il serait donc difficile d’envisager une équivalence entre ces formes commerciales. Or, l’ouverture au répertoire implique qu’il y ait une forte bioéquivalence entre les différents produits. Cela fait des mois que nous sensibilisons l’ANSM sur ce point. Avant d’ouvrir le répertoire, il faudrait mettre un peu d’ordre dans la présentation et dans le suivi de pharmacovigilance des différentes formes de paracétamol.
Êtes-vous optimiste sur l’issue ?
Dès l’instant où nous sommes dans l’idéologie, je crains que la raison ait du mal à l’emporter. Pourtant, j’ai entendu les plus hauts dirigeants de ce pays affirmer que la priorité actuelle était l’emploi. Ne nous enfermons pas dans une logique "théologique" du générique à tout prix.
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