Dans un entretien avec « le Quotidien », le Pr Joël Ménard* rouvre le dossier du coût des médicaments et ne peut que constater la difficulté qu’il y a à mettre en parallèle « livre des comptes » et « gains de santé ».
LE QUOTIDIEN – La CNAM a publié en juin ses comptes sur les dépenses remboursées de médicaments. À l’intérieur de ce tableau, vous connaissez parfaitement le cas des hypertenseurs – classe thérapeutique dans laquelle l’assurance-maladie relève « la plus forte baisse des dépenses en 2012 ». Quelle lecture faites-vous de la présentation de la caisse ?
Pr JOËL MÉNARD – Je constate que dans sa communication, l’assurance-maladie s’est bien gardée d’attribuer des bénéfices financiers à la suppression de l’ALD 12 qui était une aide toute modeste donnée aux plus graves et aux plus pauvres des hypertendus. Malheureusement d’ailleurs, personne ne pourra en parler, parce que le coût de cette mesure, quelques accidents vasculaires cérébraux de plus, est silencieux et décalé sur les années à venir...
Je remarque aussi que les questions sur la qualité des prescriptions ne sont pas abordées. Ainsi sait-on depuis une vingtaine d’années que, parmi les hypertendus traités, certains sont traités qui ne devraient pas l’être et que d’autres ne le sont pas qui devraient l’être depuis longtemps.
Au-delà des hypertenseurs, que pensez-vous de l’analyse de la CNAM, en tant que médecin et ancien DGS ?
La présentation m’instruit mais me hérisse un peu parce qu’elle est superficielle et orientée sur le seul aspect économique de questions de santé plus complexes.
Cela me fait penser à ce que le Pr Claude Got a appelé le « scandale des voitures folles » : plus de cent mille morts étagés sur plusieurs décennies ! Si l’on avait immédiatement appliqué en 1970, et à chaque étape de la réflexion, une approche multifactorielle de la prévention des accidents de la route, on n’aurait pas mis quarante ans pour diminuer par cinq les décès, tout en accroissant massivement la circulation routière ! Mais il y a des moments où ni la société et ni les instances administratives et politiques ne sont prêtes. Et, en réalité, je comprends bien pourquoi.
Même quand on croit avoir approché au mieux la vérité scientifique du moment, celle-ci n’est pas le seul paramètre à inclure dans l’analyse des comportements d’une société que les décideurs politiques auscultent en permanence. Le scientifique n’a pas de vérité définitive, et sa réserve sur le long cours l’empêche d’avoir la même pugnacité pour orienter les choix que les groupes de pression, remontés par la défense d’intérêts plus immédiats et plus crûment exprimés.
Et cela vaut pour le médicament ?
Précisément, sur le médicament, les catégories professionnelles concernées sont multiples, et leurs intérêts divergent souvent.
Ainsi passe-t-on sa vie entière à dire et à écrire, références à l’appui, que la prescription en DCI est nécessaire pour simplifier et mieux comprendre la thérapeutique. Ou à faire remarquer que les prix linéaires, c’est-à-dire croissant avec la dose, sont un encouragement aux dépenses et une complication supplémentaire de la prescription. Ou que chaque médecin n’a besoin de connaitre que dix médicaments antihypertenseurs (là où il y a plus de cent noms offerts et promus) mais a le droit de faire son propre choix des dix qu’il connait bien et s’habitue à manier, parmi deux cents autres qu’il ou elle ne pourra jamais mémoriser et connaitre, même avec Internet...
La CNAM se trompe-t-elle d’analyse sur le médicament ?
L’ouverture du livre des comptes est un progrès dans le partage des informations pour piloter le système et l’améliorer.
L’indispensable mise en parallèle des gains de santé obtenus est beaucoup plus complexe à exprimer, d’autant plus que la focalisation sur le médicament est une analyse réductionniste du problème des dépenses de santé. Il y a eu des progrès thérapeutiques majeurs sur les antiviraux et les anti-inflammatoires : la règle du jeu est de rentabiliser ces progrès pour encourager ceux qui réussissent une recherche originale, et, si les circonstances sont favorables, que les gains soient réinvestis dans la recherche.
L’apparition des génériques comme l’atorvastatine, diminue massivement les coûts, mais moins que dans les autres pays, pour deux raisons. La réaction des prescripteurs s’ils manifestent une préférence systématique et difficile à comprendre pour les produits princeps les plus récents, et surtout les prix qu’on donne. Aux génériques. Les règles de sécurité ne doivent pas être transgressées pour diminuer les coûts, sans que la précaution ne devienne un obstacle à l’innovation : un travail d’équilibriste...
*Cardiologue de formation, ancien Directeur général de la Santé, le Pr Joël Ménard est Professeur émérite de Santé Publique, à la faculté de médecine Paris-Descartes.
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