Médicament

Des traitements en accès direct dès l'avis de la HAS, une petite révolution ?

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Publié le 29/10/2021
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Le PLFSS 2022 ouvre la possibilité d'un accès direct rapide au marché pour certains traitements, dès l'avis officiel de la Haute Autorité de santé (HAS), en amont du remboursement de droit commun. Une avancée pour les patients et les industriels.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

« C’est une nouveauté totale dans l’accès au médicament », considère déjà Me Marine Devulder, avocate spécialisée dans l’accès au marché des produits de santé. L'innovation ? Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 prévoit d'expérimenter un nouveau dispositif d'« accès direct », permettant la commercialisation et la prise en charge de traitements juste après l’évaluation par la HAS. Cela ouvre la possibilité pour un patient d’avoir accès rapide à un médicament remboursé, sans attendre les négociations de prix qui peuvent prendre des mois.

Cette décision pourrait permettre de gagner entre 200 et 250 jours, durée moyenne des tractations entre les laboratoires et le comité économique des produits de santé (CEPS). « C’est un délai beaucoup trop long, et qui n’est même pas légal car le droit européen impose un temps maximal de 180 jours pour fixer le prix », souligne Me Devulder. Une économie cruciale « pour que les patients puissent bénéficier le plus rapidement possible de thérapeutiques, qu’elles soient innovantes ou pas », ajoute l’avocate.

Plusieurs briques

L’accès direct vient compléter d'autres dispositifs d’accès dérogatoire au médicament, déjà en vigueur. Depuis 30 ans en effet, la France se veut pionnière en la matière, avec la création, dès 1992, de l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU), qui permet la mise à disposition de médicaments dans un cadre sécurisé, avant même qu'ils ne disposent de leur autorisation de mise sur le marché (AMM), lorsque les résultats sont encourageants. Une nécessité à l'époque notamment pour assurer l'accès à des traitements prometteurs pour les malades atteints du SIDA. Mais au fil des ans, le système s’est complexifié avec la création de six régimes dérogatoires, dont la « recommandation temporaire d’utilisation » (RTU), accordée par exemple au baclofène dans l’indication d’alcoolodépendance. « Le système était devenu totalement illisible pour les industriels. Le PLFSS 2021 a tout remis à plat en créant deux systèmes : l’accès compassionnel, pour les anciennes RTU, et l’accès précoce, pour les ATU », détaille Marine Devulder.

Entré en vigueur en juillet dernier, l’accès précoce permet à l’industriel de mettre à disposition certains traitements avant la prise en charge de droit commun. En deux mois, une douzaine de demandes de rendez-vous pré-dépôts ont été recensés, ainsi qu'une dizaine de dossiers. Cancers, maladies génétiques ou auto-immunes…: pour bénéficier d’un tel accès précoce, le médicament doit s’adresser à des maladies rares, graves ou invalidantes, et être « présumé innovant », selon un cahier des charges défini par la HAS. Un critère « très discriminant », décrypte Marine Devulder, et qui exclut de facto les pathologies bénéficiant d’alternatives thérapeutiques. À titre d’exemple, une immunothérapie anticancéreuse de seconde ligne ne pourrait pas bénéficier d'un accès précoce. « Très peu de médicaments y sont éligibles », résume l’avocate.

À préciser sur l'ordonnance

Conscient de ces conditions d’octroi trop sélectives, le gouvernement a donc décidé d’élargir la cible aux thérapeutiques qui ne sont pas éligibles à l'accès précoce mais qui présentent une amélioration du service médical rendu (ASMR), quelle qu'elle soit, et un niveau de service médical rendu (SMR) minimum – à préciser par décret – à travers cette expérimentation de cet accès direct.

En pratique, une fois l’AMM reçue et l’avis de la HAS publié, le laboratoire pourra postuler à un accès direct, à condition d'avoir sollicité un accès précoce en amont de son autorisation de mise sur le marché. Le verdict sera rendu par le ministère, officialisant une prise en charge par l'Assurance-maladie pour un an maximum. Une fois l’année écoulée, soit le médicament intègre la liste des produits remboursés en ville ou à l’hôpital, soit son inscription au remboursement est refusée. Lors de la rédaction de l’ordonnance, le prescripteur devra y apposer de son côté la mention « prescription au titre de l’accès direct » et informer le patient des conditions de prise en charge.

Une seule indication

Alors que l’accès précoce sélectif bénéficie surtout aux anticancéreux innovants, difficile aujourd'hui de prédire quels médicaments seront concernés par l’accès direct, car dans les faits, nombre de traitements pourront y prétendreMalgré les bénéfices attendus pour les patients, l’expérimentation de l’accès précoce charrie aussi son lot de contraintes. La demande sera réservée aux indications initiales du médicament. Un critère problématique en oncologie, où les indications peuvent être élargies successivement à plusieurs types de tumeurs, ou encore pour le développement d’un traitement adulte vers une indication pédiatrique.

Le coût de l’accès direct est estimé à 30 millions d’euros dès 2022, 130 millions pour l’année suivante et 230 millions d’euros en 2024.

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin