Beaucoup de voix se sont élevées ces dernières semaines pour réclamer une vaccination antigrippale massive cette année compte tenu du contexte sanitaire. Cela vous semble-t-il justifié ?
Pr Daniel Floret : À l’heure actuelle, il n’y a pas d’argument scientifique qui indique qu’il faille vacciner toute la population. L’intérêt essentiel de la vaccination dans ce contexte, c’est d’éviter que des personnes grippées ne souffrent de complications, s’ajoutent aux malades atteints de covid et saturent le système de santé. Les personnes qui risquent de saturer le système de santé du fait de la grippe ne sont ni les sujets jeunes et en bonne santé, ni les enfants, mais les personnes à risque. Ce sont celles-ci qui sont hospitalisées et qui décèdent de cette maladie saisonnière. Aussi, pour le moment, ce qui est demandé, c’est de vacciner ces personnes qui devraient être vaccinées et qui, jusqu’à l’année dernière, l’étaient à moins de 50 %.
La vaccination antigrippale vise-t-elle aussi à protéger les individus de co-infections grippe-covid éventuellement dangereuses pour la santé ?
Pr D.F. : Il existe pour le moment très peu de données au sujet des co-infections grippe-covid. Jusqu’à présent, aucune étude ne laissait penser qu’une co-infection pouvait être plus grave qu’une mono-infection à covid. Une étude anglaise qui vient de paraître dans le BMJ montre toutefois une majoration du risque de décès en cas de co-infection grippe-COVID. Cependant, dans ce travail, 80 % des décédés avaient plus de 70 ans, ce qui incite à vacciner davantage les sujets à risque que toute la population. À noter par ailleurs qu’en cette fin d’hiver austral, on constate que le virus de la grippe a peu circulé ces derniers mois dans l’hémisphère Sud. Si ce phénomène ne garantit pas que le virus saisonnier circulera peu en France cet hiver, il autorise cependant à espérer que l’épidémie de grippe sera peu sévère cette année.
La position des autorités est donc davantage fondée sur des données médicales que sur des préoccupations logistiques ?
Pr D.F. : Le fait est que si on vaccinait aujourd’hui toute la population, on créerait de façon inéluctable une pénurie, les pré-commandes de doses de vaccin ayant déjà été passées. À ma connaissance, les médecins généralistes et les professionnels aptes à vacciner devraient donc recevoir des instructions leur recommandant de vacciner en priorité les publics à risque et les soignants, conformément aux recommandations de la HAS. Il serait en effet dommage d’utiliser des doses pour vacciner des personnes en bonne santé, et que les sujets à risque ne puissent pas être protégés.
Si on vaccinait aujourd’hui toute la population, on créerait de façon inéluctable une pénurie
Est-ce à dire qu’un nombre insuffisant de doses a été pré-commandé ?
Pr D.F. : Le ministère de la Santé anticipe une demande plus importante qu’à l’habitude de vaccins grippaux, qui pourrait émaner non seulement de ceux qui doivent être vaccinés, mais aussi des personnes non visées par les recommandations. Une telle demande inhabituellement élevée de vaccin avait d’ailleurs été observée en 2009. Si pendant la pandémie de H1N1, on a proposé un vaccin contre la grippe saisonnière et un vaccin contre le H1N1, la population a refusé le vaccin H1N1 mais a très bien accepté le vaccin contre la grippe saisonnière, à tel point que 2009 est l’année où la couverture vaccinale contre la grippe en France a été la plus élevée jamais enregistrée. Dans ce contexte, pour tenter de prévenir une éventuelle pénurie de vaccin, le ministère de la Santé aurait commandé cette année un nombre de doses de vaccin supérieur à celui consommé l’an dernier.
Si une pénurie se faisait tout de même sentir, quelles stratégies pourraient être mises en œuvre par le ministère de la Santé ?
Pr D.F. : Je ne suis pas un spécialiste de ce genre de problématiques, cependant, il me semble qu’il serait difficile de passer de nouvelles commandes aux laboratoires en cours de campagne de vaccination. Néanmoins, des vaccins autorisés à l’étranger pourraient être importés et utilisés en France. Il s’agit d’abord du vaccin anti-grippal haute dose Fluzone HD utilisé aux Etats Unis et équivalent au vaccin Efluelda, réservé aux personnes âgées de plus de 65 ans, qui détient une AMM en Europe mais qui normalement n’est pas commercialisé en France. Il est possible que le ministère obtienne des lots de ce vaccin, pour vacciner les plus de 65 ans. Le vaccin vivant nasal Fluenz-tétra pourrait également être utilisé chez les enfants de 2 à 18 ans. Ce vaccin existe depuis longtemps, est commercialisé aux Etats-Unis depuis 2003, est utilisé largement en Angleterre ou en Finlande, et, en France, a fait l’objet de recommandations mais n’y est pas commercialisé pour des raisons essentiellement administratives.
Il serait dommage de vacciner des personnes en bonne santé, au détriment des sujets à risque
Dans tous les cas, dispose-t-on en France de moyens matériels et organisationnels suffisants pour que les vaccins soient correctement administrés aux patients qui en feront la demande ?
Pr D.F.: Il y a eu ces dernières années des évolutions concernant les professionnels aptes à vacciner. L’année dernière, près de 50 % des vaccinations antigrippales ont été réalisées par des pharmaciens, qui pourraient sans doute vacciner plus de monde cette année. De même que les infirmières. Ces professionnels pourraient ainsi décharger les médecins en particulier en cas de reprise de l’épidémie de covid, situation qui semble se profiler. A priori, nous devrions donc être armés pour faire face à une augmentation de la demande, pour ce qui concerne l’administration des vaccins.
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