Dans un communiqué du 3 octobre, le Collège de la médecine générale (CMG) dénonce le far west des téléconsultations en soins primaires. Pourquoi cette alerte ?
Pr Serge Gilberg : Nous avons voulu faire écho aux annonces récentes concernant la régulation des arrêts de travail réalisés en téléconsultation hors médecin traitant, car on voit bien que le problème est en fait plus global. Au cours de ces dernières années, il y a eu une augmentation exponentielle des téléconsultations, avec un recours croissant aux plateformes à visées commerciales, qui se multiplient et sollicitent fortement les médecins pour qu’ils y travaillent. Or, en parallèle, la Caisse primaire d’assurance maladie mais aussi les médecins et les usagers commencent à pointer les dérives et les limites de ces pratiques. De plus en plus, les praticiens voient revenir leurs patients après plusieurs téléconsultations qui n’ont pas réglé le problème, voire ont abouti à des propositions inadaptées.
Pour le Collège de la médecine générale, si la téléconsultation représente une contribution à la prise en charge des patients, elle nécessite un cadrage et doit respecter une démarche clinique et éthique adaptée.
Qu’entendez-vous par "démarche clinique et éthique adaptée" ?
Pr S. G. : En médecine générale, la démarche clinique consiste à partir de la plainte pour identifier réellement le motif de consultation, avec une approche globale. Or la téléconsultation semble assez antinomique avec cette démarche dans la mesure où elle est très souvent centrée sur la seule plainte initiale pour y apporter une réponse rapide.
Quant à l’aspect éthique, il s'agit de se préoccuper du cadre dans lequel la téléconsultation va être faite, de s’assurer que le secret professionnel pourra être respecté mais aussi de faire en sorte que les prescriptions soient adaptées à l’état de la science. Quand on voit des antibiothérapies ou des conseils dispensés sans que le patient ne soit examiné, cela ne nous semble pas aller dans ce sens. Avec, à la clé, un risque de perte de chance pour le patient.
Alors que l’accès aux soins est de plus en plus compliqué, n’est-ce pas toujours mieux que rien ?
Pr S. G. : Il y a effectivement l’idée que la téléconsultation pourrait être une réponse aux déserts médicaux. Pourtant, de premières études montrent que finalement, la grande majorité de la consommation de téléconsultation ne se fait pas dans les déserts médicaux mais dans des territoires assez bien dotés. Ce qui concorde avec l’expérience qu'on a tous sur le terrain : on observe que ce sont surtout des populations plutôt jeunes, pressées et nomades qui y ont recours.
En favorisant la surconsommation, la téléconsultation risque donc plutôt d’entraîner une surmédicalisation. Car on sait bien, et cela a été largement théorisé, que pour certaines plaintes, en dehors de l’urgence bien sûr, il suffit parfois d’attendre pour que les choses rentrent dans l’ordre d’elles-mêmes. Si, dès qu’il y a une plainte, on se met à répondre par une téléconsultation, cela va entraîner des réponses médicalisées largement inutiles.
Il faut cependant bien faire la part des choses entre cette dérive consumériste et l’aide que peuvent réellement apporter la téléconsultation et l’utilisation des outils numériques dans certaines zones où l‘accès aux soins est particulièrement difficile.
Dans ce contexte, vous appelez à mieux réguler l’usage de la téléconsultation ?
Pr S. G. : Oui, et c’est bien le sens du communiqué du CMG. Je pense d’ailleurs que les Caisses l’ont envisagé… De notre côté, nous avons établi dès mars 2021 un document dédié à la télémédecine en médecine générale et contribué à l’élaboration de recommandations de bon usage des antibiotiques en téléconsultation en soins primaires. Nous voulons inciter les médecins et les pouvoirs publics à s’en inspirer pour réguler l’usage de la télémédecine.
Le déremboursement annoncé des arrêts de travail réalisés en téléconsultation, hors médecin traitant, va donc plutôt dans le bon sens ?
Pr S. G. : Probablement, mais ce n’est qu'une première étape. Il y a aussi la fin du remboursement à 100 % des téléconsultations qui va peut-être calmer le jeu car cela va rendre les choses moins simples, avec un reste à charge pour les patients.
Mais on voit bien que la motivation est économique. Cela coûte cher donc on régule. On aimerait que cette préoccupation financière soit élargie à une préoccupation plus globale de qualité des soins en téléconsultation.
Et même si on se pose du côté économique, peut-être faut-il aussi se demander ce que la téléconsultation induit comme dépenses d’examens complémentaires qui ne seraient peut-être pas réalisés lors d’une consultation classique.
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