Tribune Jean-Pierre Blum

L’administration Biden opte pour la suspension des brevets pour « circonstances extraordinaires »

Publié le 06/05/2021

La déclaration de Katerine Tai, représentante pour le commerce des Etats-Unis, en date du 5 mai 2021, n’est pas inaperçue. Elle traduit le fait que le Président de la première puissance mondiale affiche officiellement sa volonté de lever la propriété intellectuelle dans la prévention vaccinale de la pandémie SARS-2 à Covid-19. « C’est une initiative monumentale dans la lutte contre la Covid-19 », s’est immédiatement réjoui Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé. Allons-nous voir l’avènement de la licence d’office réclamée par les pays pauvres ? On n’ose y croire.

Le principe de la cocotte-minute

« Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale, et les circonstances extraordinaires de la pandémie de Covid-19 appellent des mesures extraordinaires, a déclaré Mme Tai. L’administration croit fermement en la protection de la propriété intellectuelle, mais au service de la fin de cette pandémie, elle soutient la renonciation à ces protections pour les vaccins Covid-19. » En effet, comme l’avaient signalé différents épidémiologistes et autres médecins de grande réputation (A. Grimaldi, AP-HP, par exemple), le virus circule. Et plus il circule, plus il a de probabilités de muter. Plus il mute, plus il a de probabilités d’acquérir une robustesse. Plus il est robuste, plus le(s) vaccin(s) a(ont) des probabilités d’être en difficulté. On remarquera que, s’agissant de la pathologie virale, au sens général du terme, on n’a jamais connu d’éradication excepté concernant la variole. La seule solution se résume à l’hygiène, l’isolement et/ou la vaccination. Le Sida qui a tué plusieurs dizaines de militons de personnes en est une preuve vivante pour lequel il n’existe pas de vaccination, mais un traitement tendant à annihiler la charge virale et à la maintenir quasiment nulle mais avec un traitement à vie. Dans la pandémie qui nous occupe depuis seize mois (au niveau mondial, 156 millions de cas, 3,3 millions de décès, pour la France, 106 000 morts en France, près de 6 millions de cas), le retour à la vie sans précaution, la reprise des déplacements nationaux et internationaux exposent à une(des) résurgence(s) avec le risque de mutations robustes et, par suite, la reprise de la pandémie. Il faut donc vacciner les 8 milliards d’êtres humains sur la planète et peut-être annuellement.

Intérêt bien ordonné commence par les autres

Dans le cas qui nous occupe, notre intérêt sanitaire, économique, éthique consiste à vacciner tout le monde – nous disons bien tout le Monde – parce que c’est notre intérêt. On apprend souvent que « la Vertu est la fille de l’efficacité », comme le dit un philosophe bourguignon réputé. Les Etats-Unis l’ont bien compris qui étaient le frein le plus puissant à la levée des droits de propriété au motif qu’ils sont à la base de la recherche sur le financement – public – et de l’utilisation de l’ARN messager (DARPA) (BioNTech, Moderna puis Pfizer) et que sont fortement ancrés dans l’ADN de l’Oncle Sam la religion et le leadership par l’économie.

Des paroles aux actes désormais

Les éléments concrets de mise en place doivent être menés par l’OMC (Organisation mondiale du Commerce). « Nous participerons activement aux négociations de l’OMC pour y parvenir », a déclaré Mme Tai. On sait que l’OMC a été saisie en octobre 2020 par l’Inde et l’Afrique du Sud, qui affrontent une flambée épidémique et des mutations génomiques. 104 pays ont déjà soutenu cette démarche. La directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a également et fortement engagé les pays membres à poursuivre les négociations « pour aller de l’avant ». La France, restée muette jusqu’alors, vient, après les Etats-Unis et par la bouche d’Emmanuel Macron d’emboiter le pas à Joe Biden. Dommage pour un pays qui éclaire le monde de se limiter à la lueur d’une lampe de poche. Qu’en serait-il si nous n’avions pas « tout pour réussir » (BFM Business) ? L’industrie pharmaceutique, quant à elle, juge la déclaration de Joe Biden « décevante ». On n’attendait pas moins d’elle. Cet élan humaniste fait chaud au cœur.

Passez la monnaie

Pfizer a engrangé 21,6 milliards d’euros et Moderna envisage 15 milliards. Pour BioNtech, c’est 1,5 milliard d’euros. Pour son patron, le français Albert Bourla, Pfizer indique : « Sur la base de ce que nous avons vu, nous pensons qu’il est probable que la demande pour notre vaccin contre le Covid19 sera durable, comme c’est le cas pour les vaccins contre la grippe. » On n’est pas tout à fait sûr que cela le rende triste après avoir annoncé une hausse du prix du vaccin de 22% et avoir exercé un droit de vente de ses propres actions à hauteur de 5,6 millions de dollars. Dans les nouvelles négociations avec l’Union européenne, on parle d’un prix qui passerait de 15,50 euros à 19,50 euros. Inflation quand tu nous tiens. « Nous entendons les interrogations, légitimes des pays, mais l’idée que les brevets brident la production est fausse. Tout est mis en œuvre pour que les acteurs compétents se mobilisent pour fabriquer ces vaccins. Près de 300 accords de production, qui impliquent parfois des concurrents, ont été mis en place à cet effet depuis un an », s’est plaint Frédéric Collet, président du Leem. « Les vaccins sont des produits biologiques complexes à mettre au point. S’affranchir des brevets ne permettra pas à des pays ou des acteurs qui ne sont pas des spécialistes d’être capables de fabriquer dans des conditions de confiance », soupire M. Collet. Damoclès pend au nez des industriels qui veulent à tout prix – enfin presque – éviter la levée des brevets qui éraserait leurs marges bénéficiaires. D’ailleurs, ils ont tous prix contact avec les pays africains pour négocier à la baisse – fortement – le prix de leurs chères fioles. Sans doute le virus de l’humanisme devant l’Histoire. On rappellera que l’Afrique du Sud, contre vents et marées pharmaceutiques, a réussi à traiter les malades du Sida dans des conditions économiques bien plus favorables que dans les pays riches. Et tant pis pour les brevets. Salauds de pauvres.

Quant à Biden, son geste s’il réussit, le fera entrer dans l’histoire de la médecine, ouvrant ainsi la voie à d’autres initiatives. Trump doit pester en voyant « Sleepy Joe », tout en sobriété, donner du sens et porter des valeurs.

 


Source : lequotidiendumedecin.fr