La pneumologue Irène Frachon publie avec Eric Giacometti et François Duprat un Ovni éditorial aux Editions Delcourt (*) qui retrace le calvaire médical et judiciare des patients et des familles de patients décédés au décours de la prise de Médiator des Laboratoires Servier. Elle inscrit ainsi le parcours terrible de milliers d’anonymes, les fautes inexcusables de l’Etat et de ses agences et, bien sûr, le cynisme assassin des Laboratoires Servier, dans le livre noir de la santé française. Cet ouvrage est remarquable à tous points de vue.
Si l’affaire n’était à ce point misérable et indigne pour celui et ceux dont la mission était de prendre loyalement soin de personnes malades, de façon rigoureuse et respectueuse de la lettre et de l’esprit de la loi, on pourrait se « rabibocher » avec la nature humaine. Hélas, pour citer le grand Albert, tout est relatif ici-bas, car philosophant à propos de l’infini et se référant à l’univers et à la connerie humaine. Il exprimait ainsi un doute s’agissant de l’univers sur un ton malicieusement désabusé. L’humour est bien l’élégance du désespoir.
Le bouquin
Cet ouvrage ne représente que la partie émergée – la forme – de l’affaire du Mediator. Pour autant, le sujet y est traité de façon didactique avec un souci de qualité rare. Ce livre se dévore même si le sujet est terrible, digne des pires avanies. Le dossier de presse est à afficher dans les écoles de journalisme tellement il est pédagogique.
Hein Justice ?
En préambule, on rappellera que tous les films, les livres, les articles, les marques d’empathie n’effaceront jamais les souffrances physiques, les douleurs morales des patients et la sensation de l’injustice commise à leur endroit. Dans ces circonstances, on est toujours seul au monde.
Chez ceux qui ont été floués par un tiers de confiance, le fait que la Justice ne rende pas réellement la justice mais seulement le droit ajoute au sentiment d’injustice. Pascal, déjà, et après La Fontaine, plagiaire d’Esope, rappelait qu’à défaut de faire en sorte que la Justice soit forte, on a fait que la force soit juste. Selon que vous serez puissant ou misérable, on vous dira blanc ou noir. Bien sûr, le législateur a fait progresser le droit mais toujours ceux qui en ont les moyens retarderont, ergoteront, s’arrangeront, profiteront, tricheront, voire échapperont aux sanctions. D’ailleurs l’Etat n’est pas en reste (essais nucléaires, amiante, pesticides, chlordécone, sang contaminé, levothyroxine, distilbene, prothèse PIP, etc.). Le plus souvent au nom de l’argent. En « somme » rien ne change au fond.
Dans cette affaire, on comprend mieux les propos d’Henri Laborit – L’éloge de la fuite, inventeur des neuroleptiques, coscénariste du film Mon oncle d’Amérique - relatant l’impression d’enfermement, d’impuissance totale face à l’injustice. Acculés et annihilés, les Hommes comme les rats s’automutilent ou s’agressent.
Les patients ont trouvé un Allier
Allier oui, car Irène Frachon est née Allier dans une famille qui a souvent servi l’honneur de la France. Comme dit la grand-mère d’un ami bourguignon, « les pommes tombent rarement très loin des pommiers ». Elle est médecin hospitalier pneumologue en région parisienne puis rejoint la Bretagne avec sa famille. Elle entre dans la lumière médiatique avec la parution de son ouvrage, Mediator 150 mg : combien de morts. Les laboratoires Servier lui intentent un procès pour « accusation grave, inexacte et dénigrante », procès que l’industriel perdra en appel. Ce pavé dans la mare scellera, on peut l’espérer, dans nos mémoires, le destin desdits laboratoires. Désormais, on ne voit plus guère le nom de Servier clignoter dans les espaces publicitaires. On décernera une palme spéciale au « chevalier blanc » d’Irène Frachon en la personne du Dr Gérard Bapt, député honoraire de la République, qui avec la sobriété et la précision scientifique qui lui appartiennent a accompagné le juste combat. Tel le sparadrap du Capitaine, il portera à chaque fois que nécessaire le fer dans la plaie à l’Assemblée nationale. Depuis, certains de ses collègues et amis ont surnommé Irène Frachon « la Capitaine ad hoc ». Si les patients ont trouvé un Allier, Servier, lui, est tombé sur un os. Dur pour le laboratoire de s’être pensé au dessus des lois et de l’éthique, d’avoir pensé qu’il était un « As » alors qu’il n’était qu’un tricheur « As been ».
Irène Frachon, « la femme qui marche »
Avec un coscénariste du nom de Giacometti, la perche était tendue, belle et tellement vraie. La sculpture d’Alberto (Fondation Maeght, Saint-Paul de Vence) – l’homme qui marche - est mondialement connue qui montre un homme en bronze, nu et courbé, comme s’il affrontait au travers d’une bourrasque les affres de la vie avec pour seules armes son courage et sa conviction ; nu mais debout, courbé mais résistant. C’est l’image qui demeure d’Irène Frachon. Sa force, sa conviction scientifiquement établie, son engagement auprès d’Hippocrate, sa pugnacité, le fait de savoir qu’il est des combats qui vous dépassent, qui vous obligent.
Mettre en cause les puissants est dangereux. Dangereux pour sa carrière, pour son équilibre personnel, pour sa famille, pour sa réputation. Si l’on se réfère à des heures sombres de notre Histoire, peu – très peu – et tardivement – très tardivement – ont résisté. On sait où de quel côté se serait située Irène Frachon. Hélas, souvent – presque toujours -, la litanie (la rumeur), fait place à la liturgie (l’indignation) pour finir en léthargie (l’effacement des mémoires et des consciences).
Ainsi, comme l’indiquait Daniel Costelle à propos de la libération de Paris, au lendemain de l’entrée des troupes espagnoles de la 2e division blindée du Général Leclerc, exfiltrées de ces personnels noirs – à la demande de Eisenhower -, les commerces ont repris aussitôt et les combines ont perduré. Il concluait ainsi : « Et voici comment nous sommes passés du Maréchal au Général et du général au particulier. » Dans l’affaire Mediator, comme toujours, nous nous sommes indignés avec des « Plus jamais ça », « N’oublions jamais ». Bien sûr, on s’est empressé de modifier l’agence de contrôle, bien sûr il y a eu une enquête de l’Assemblée nationale ; comme d’habitude. Jusqu’au prochain scandale, la prochaine médiocrité, la prochaine irresponsabilité, le prochain conflit d’intérêt, pardon les prochains conflits d’intérêts.
Le nom des morts
Nous ne jugerons pas l’institution, mais l’on peut quand même pléonasmatiquement (néologisme) s’étonner de certaines longueurs, facilités, arrangements et dérives.
La victime est naïve par incompétence juridique. Elle entre dans un « système » dont les acteurs tirent avantage des situations. « Asinus, asinum fricat » - Les ânes parlent aux ânes – (Pigault-Lebrun, 1824). Ainsi la victime devient un dossier, un numéro. Désincarnée. C’est toute la valeur et le courage d’Irène Frachon d’avoir sans cesse remis l’ouvrage sur le métier, en réincarnant les personnes, les malades, les citoyens au centre du débat. A commencer par leurs noms. Depuis longtemps, la confiance des citoyens dans les organisations de l’Etat est ébranlée. Comment, stoïquement, pouvoir affronter des délais ubuesques dans un pays qui clame partout à qui veut l’entendre qu’il est le meilleur au monde (rendez-vous médical, dossier retraite, jugement civil, etc.). Je cite souvent le cas d’un citoyen français, plutôt intelligent et honnête, qui a perdu quelques articulations de son organisme en raison de la malfaçon documentée et démontrée d’un outil industriel rotatif tranchant. L’incapacité supérieure à 80% reconnue par l’assurance maladie a prouvé l’utilité desdites articulations. Le procès dure depuis plus de vingt ans. Le citoyen, sous antalgiques majeurs depuis l’accident - dont il est question n’est pas – encore – mort de rire.
La pugnacité dont a fait preuve Irène Frachon dans l’affaire Médiator est exemplaire et l’ouvrage objet de cet article en est une preuve supplémentaire. Il devrait inspirer tous ceux pour qui la loyauté, l’égalité, l’honneur sont des valeurs. On reconnaît chez la pneumologue le souci des autres - qualité essentielle chez un médecin -, la conscience professionnelle, la responsabilité. L’expression de son indignation est fondamentale car c’est le combat pour la dignité de l’autre.
Kafka et Ubu sont dans un bateau, Servier ne tombe pas à l’eau
Le président Zelenski vient d’être opportunément fait Grand Croix de la Légion d’Honneur par Emmanuel Macron. On s’étouffera de savoir que feu Jacques Servier avait également reçu le même hochet par son avocat, un certain Nicolas Sarkozy et que la loi empêche aujourd’hui qu’on la lui retire post mortem. Dernier avatar en date, Madeleine Dubois, ancienne conseillère du ministre Barrot (Jacques), lobbyiste de Servier pendant des lustres, vient de recevoir, à 73 ans, la babiole l’élevant au grade d’officier de la Légion d’Honneur des mains du ministre Barrot (Jean-Noël), le fils de son père. Un tour de force – sans nul doute - pour « de nouveaux mérites » selon la Grande Chancellerie ou alors pour sa participation à une activité qui a conduit à condamner Servier pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires ». Lors du procès, juré, craché, elle ne s’est souvenue de rien. Les laboratoires Servier ont définitivement perdu leur Méphistophélès, Jacques Servier est décédé juste avant le premier procès. Curieusement, aucunes funérailles nationales n’ont été décidées après qu’aient été décomptés quelques milliers de morts corrélés avec la prise de Médiator (Cf. jugement). Dernière avanie en date – en dehors des méandres et autres habiletés judiciaires -, le ministère de l’Industrie a annoncé le 25 mars 2022 – fort discrètement mais légalement, une subvention de 800 000 euros pour le site de Gidy (Loiret), là même où les Laboratoires Servier produisaient… le Mediator. Trois jours après que le Canard Enchaîné a divulgué l’information, Agnès Pannier-Runacher, l’alors ministre de l’Industrie, a annulé ladite subvention. Le cœur a des raisons que l’administration ignore mais, toujours, le temps des uns n’est pas celui des autres. On se plaît à rêver qu’Attila change de camp.
L’hirondelle
Irène Frachon a fait don de ses droits d’auteur à l’association Mieux Prescrire. Cela à quand même plus de gueule que lorsqu’un footballeur milliardaire offre un ballon lors d’une soirée médiatisée et sponsorisée. On a parlé plus haut de Légion d’honneur dont son inventeur, Napoléon Bonaparte disait que « c’est avec ces hochets qu’on mène les Hommes ». Problème, « Irène Frachon est une femme qui ne se mène pas, elle se démène ». D’ailleurs elle a refusé la Légion d’honneur.
En grec ancien, « ireineo - εἰρήνη - » signifie déesse du printemps. Michel Serres, un sage, ancien de Normale Sup, docteur Honoris Causa de multiples Universités, me disait à propos d’elle : « Cette femme est un sacré bonhomme, elle m’en rappelle une autre. Toutes proportions gardées. Une certaine Simone. » La « preuve » qu’une hirondelle peut faire un printemps.
Irène Frachon, « madame » Irène Frachon, vous nous redonnez un peu d’espoir et aux patients leur dignité. Merci pour eux, merci pour nous. N’empêche, il faut demeurer vigilant.
(*) Mediator, un crime chimiquement pur, Editions Delcourt, Collection Encrages, EAN 9782413039396, François Duprat (Illustrations), Eric Giacometti (Avec la contribution de), Irène Frachon (Avec la contribution de)
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