En 2020, la Haute Autorité de santé s’est attelée à la rédaction des recommandations de bonnes pratiques pour l’accompagnement des individus en situation de grande précarité présentant des troubles psychiques, après une saisine de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). L’agence vient de publier ses recommandations le 18 janvier 2024, assorties de huit fiches pratiques sur les intervenants et les situations particulières.
En France, selon une estimation de la Fondation Abbé Pierre de 2022, 330 000 personnes seraient sans logement, et donc en situation de grande précarité, contre 90 0000 en 2001. Dans cette population, la prévalence des troubles psychiques y est plus grande, comme le montrait l’enquête Samenta de 2010 menée en Île-de-France qui ébauchait une prévalence de 30 % des troubles sévères chez les personnes sans logement.
Plus récemment, en 2018, des investigateurs de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) et de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques Drees faisaient état d’une plus grande susceptibilité des mineurs en situation de précarité à développer des troubles psychiques, et portaient à 13 millions le nombre de jeunes précaires. Enfin, une revue de littérature américaine publiée dans International Journal of Social Psychiatry en 2020 estimait à 77,5 % la prévalence des troubles psychiques dans la population sans domicile.
Les messages clés des recommandations
Les recommandations, qui s’adressent aux équipes intervenantes et aux pouvoirs publics, « visent à améliorer l’accès […] à des soins et un accompagnement adaptés ainsi que la qualité et la pertinence des interventions en définissant des repères communs ». La grande précarité est définie par l’absence d’un logement personnel.
Les messages clés sont les suivants :
· proposer une approche globale incluant l’accès au logement et l’accompagnement clinique et social ;
· « aller vers » les personnes plutôt que de les laisser venir vers les services compétents, et « rester avec » le plus longtemps possible ;
· prendre en compte, dans les interventions, les conséquences des traumatismes de vie, la mise en avant de leur « pouvoir d’agir » , le suivi pluridisciplinaire, les vulnérabilités spécifiques, la réduction des risques et dommages ;
· assurer l’accès effectif des individus à leurs droits et leur reconnaissance ;
· promouvoir la lutte contre la stigmatisation et les discriminations ;
· repérer de façon précoce les troubles psychiques et les vulnérabilités psychosociales ;
· anticiper et gérer les crises psychiatriques ;
· développer des offres pour les besoins (logement, soin, accompagnement) ;
· coordonner territorialement l’action des professionnels et structures ;
· et former les équipes à cette double problématique.
L’accès au logement est considéré comme un levier principal favorisant les actions ultérieures auprès de cette population. De même, le repérage précoce des troubles psychiques et des vulnérabilités psychosociales (impayés, incurie, troubles du voisinage…) chez les individus en situation de grande précarité, ou en passe de le devenir, est présenté comme un pan central des bonnes pratiques.
Un volet controversé
Si la publication de ces recommandations s’inscrit dans une démarche positive pour le champ médico-psychosocial, l’un de ses volets semble à rediscuter. Quelques semaines avant leur publication, trois membres du groupe de travail, les Dr Alain Mercuel, alors co-président du groupe de travail, et Yvan Halimi, et le Pr Jean-Louis Senon ont adressé une lettre au président de la Haute Autorité de santé, le Pr Lionel Collet, afin de se désolidariser du projet.
Leur désaccord a pour objet les recommandations sur la pair-aidance qui « est un sujet complexe qui doit être abordé de manière globale parce qu’il concerne l’ensemble des patients et pas seulement les patients en situation de grande précarité », et doit ainsi faire l’objet « d’un travail spécifique dédié, travail mené par un groupe dont la composition devra prendre en compte la diversité des approches », lit-on dans la lettre.
Pour rappel, la pair-aidance est une « dynamique d’intervention fondée sur la ressemblance entre l’individu portant le rôle d’intervention et celui portant le rôle de bénéficiaire », est-il expliqué dans un document gouvernemental. Ce statut, en France, n’est encore soumis à aucun cadre juridique, ainsi les signataires maintiennent qu’il est primordial que le sujet fasse l’objet d’un travail de fond en amont et de recommandations spécifiques qui permettront d’établir un statut juridique et un décret de compétence pour les pair-aidants.
« La pair-aidance ne devrait pas entrer par le soupirail de la précarité, mais par la grande porte », appuie le Dr Alain Mercuel, psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne. Au-delà de ce point central, il en va également de la responsabilité des intervenants qui accompagnent les grands précaires et de la qualité des soins. « Chaque acteur qui contribue à l’acte médico-social a une responsabilité, et les patients aux troubles psychiques méritent une équipe formée et solide apportant des soins de qualité », ajoute le Pr Jean-Louis Senon, professeur des universités en psychiatrie à l’Université de Poitiers. Bien que des formations existent, la fiche de poste du pair-aidant, elle, n’existe pas : « ce n’est pas une question de légitimité ou de rôle, seulement de réglementation et d’encadrement des responsabilités, et des droits et devoirs du pair-aidant », précisent tous deux le Pr Senon et le Dr Mercuel ajoutant que « le statut juridique ne permet pas de protéger seulement l’accompagné, mais aussi le pair-aidant et les équipes intervenantes. »
Les Drs Mercuel et Halimi, et le Pr Senon, ont été soutenus par la Conférence des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de CHU et la FNAPSY (Fédération nationale des patients en psychiatrie) dans un communiqué de presse daté du 17 janvier 2024 sur ce désaccord particulier, n’engageant en rien leur position quant aux recommandations dans leur ensemble.
La HAS, quant à elle, a annoncé la mise en route pour 2024 d’un groupe de travail sur la pair-aidance en médecine, les trois signataires, dans leur lettre, avaient demandé plus spécifiquement un travail sur la pair-aidance en psychiatrie.
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