LE QUOTIDIEN DU MEDECIN : Vous travaillez comme journaliste grand public. Pourquoi vous êtes vous intéressée au harcèlement sexuel et sexiste dans le milieu médical ?
CÉCILE ANDRZEJEWSKI : Assez régulièrement depuis quelques années j’ai travaillé sur des questions de santé au travail. C’est dans ce contexte que j’ai été interpellée par des syndicalistes, des militants et des avocats qui défendaient des femmes victimes de harcèlement sexuel au travail et qui m’ont cité en exemple – en mauvais exemple — le milieu hospitalier.
On sait que les conditions de travail sont particulièrement difficiles dans ce milieu, mais le grand public persiste à penser que le harcèlement sexuel ou sexiste ne peut pas se produire dans un lieu dont la fonction est de protéger et de soigner. En outre, l’hôpital garde l’image d’un lieu de travail majoritairement féminin, donc plus enclin à la bienveillance et à la protection des femmes.
Mais ce n’est pas le cas, en particulier parce que le pouvoir reste aux mains des hommes (médecins et administratifs haut placés). Et même si désormais les promotions d’étudiants en médecine comptent plus de filles que de garçons, ce sont eux qui auront le plus d’opportunités de carrières à responsabilités.
Comment avez-vous choisi les témoins que vous avez retenus dans votre livre ?
Par le biais de mes contacts avec des associations de victimes de violence sexuelles, j’ai pu rencontrer des étudiantes, infirmières, aides soignantes, techniciennes, médecins qui toutes avaient en commun d’avoir souffert de leurs relations avec certains collègues masculins. Par rapport à d’autres milieux de travail dans lesquels j’ai enquêté, j’ai trouvé que la santé restait un milieu très fermé.
J’ai aussi rencontré certaines étudiantes de Toulouse qui avaient manifesté leur désapprobation devant une fresque obscène de l’hôpital Purpan. Nous avons échangé sur leur démarche et sur leur prise de position qui s’est révélée complexe car allant à l’encontre de « traditions » bien établies.
J’ai concentré mon travail sur les relations interprofessionnelles hospitalières. Je n’ai pas enquêté sur les cas de violences aux patientes, même si certaines ont bénéficié récemment d’un écho médiatique.
Vous aviez déjà enquêté dans différents milieux professionnels. Avez-vous été surprise par les témoignages que vous avez recueillis ?
J’ai été surprise par la réaction des directions qui généralement « noient le poisson ». Ce sont les victimes qui vont être ostracisées et poussées vers la sortie. Certaines pensent même à mettre fin à leurs jours en raison de l’absence totale de soutien, d’empathie et de bienveillance de leur hiérarchie.
Alors que, vu de l’extérieur, on attend que l’hôpital soit à l’écoute de toutes les personnes qui souffrent – qu’elles y travaillent ou qu’elles s’y fassent soigner – c’est loin d’être le cas. La violence est ancrée dans le milieu de la santé. Les victimes n’ont pas le droit à la parole et ceux qui ont la force d’en parler subissent des conséquences délétères moralement voire physiquement.
Avez-vous contacté des directions hospitalières pour évoquer ce sujet ?
Les directions étouffent les affaires. Lorsque je les ai contactées – après m’être entretenue avec des victimes – aucune n’a souhaité aller plus loin sur le sujet. J’ai été désarçonnée par cette hiérarchie qui ne voulait ni se dédouaner ni donner d’explications. C’est ce manque de soutien de l’administration qui conduit les victimes à démissionner ou à quitter le service.
Je ne pense pas que la situation pourra rapidement s’améliorer, même si de plus en plus de victimes osent prendre la parole. J’ai en effet rencontré des élèves de l’École des Hautes Études en Santé Publique (des futurs dirigeants d’hôpitaux) qui m’ont tous dit qu’ils n’étaient pas formés à la prise en charge du harcèlement sexuel dans le milieu hospitalier.
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