Alors que le vieillissement est reflété par l’épigénétique et ses méthylations de l’ADN, des horloges épigénétiques visent à estimer le risque de mortalité. C’est ce qu’entend faire CheekAge, une horloge épigénétique de nouvelle génération, mise au point plus tôt dans l’année à partir de tissu de la joue par des chercheurs new yorkais.
Dans un nouveau travail, l’équipe montre que leur horloge est significativement associée à la mortalité mais aussi que sa prédiction concorde avec celle obtenue en utilisant le méthylome des cellules sanguines, suggérant des signaux communs entre les tissus. Ces travaux, publiés dans Frontiers in Aging, suggèrent « qu'un simple prélèvement buccal, non invasif, peut être une alternative précieuse pour étudier et suivre la biologie du vieillissement », commentent les auteurs. En l’état actuel des choses, les chercheurs restent prudents en réservant leur outil à la recherche sans évoquer une possible utilisation clinique pour les patients.
Le vieillissement, par plusieurs mécanismes, occasionne des variations épigénétiques sur des sites génomiques pronostiques, qui peuvent modifier l’âge biologique d’un individu. Ces variations correspondent à un ensemble de méthylations de l’ADN, le méthylome, intervenant sur des paires CpGs. De plus, certaines paires sont liées par des événements de co-méthylation, pouvant ainsi constituer une horloge épigénétique fonctionnant en réseau.
Parmi les mécanismes impliqués, sont retrouvés l’inflammation (par prolifération de cellules sénescentes par exemple), le raccourcissement des télomères, l’instabilité de la division, la dégradation des capacités de réparation de l’ADN ou encore de la production de protéines. Le tabac et les infections virales peuvent ainsi déclencher des méthylations, ces effets environnementaux laissant donc une « marque épigénétique ». Mais la génétique semble elle aussi contrôler une partie de la variation épigénétique, et possiblement de façon plus forte que l’environnement, selon des chercheurs de l’Institut Pasteur.
Des sites de méthylations se trouvant proches de gènes liés à des pathologies
Les premiers travaux de l’équipe ont permis de développer l’horloge CheekAge à partir des données de Infinimium MethylationEPIC issues de prélèvements buccaux réalisés sur 8 000 individus. Une première puisque jusqu’à présent les analyses du méthylome se faisaient sur des prélèvements sanguins. Ce modèle, qui a utilisé plus de 200 000 sites de méthylation de l'ADN pour estimer l'âge épigénétique d’un individu, a ensuite été entraîné pour les corréler à divers facteurs liés au mode de vie et à la santé (activité physique, qualité du sommeil, alimentation, stress, tabagisme, alcool ou encore l’indice de masse corporelle). Lors de l’entraînement de l’horloge, les auteurs ont testé CheekAge chez des patients atteints de progéria et ont retrouvé un âge biologique plus élevé que l’âge civil.
Dans ce nouveau travail, les chercheurs ont évalué la fiabilité de CheekAge à prédire la mortalité toutes causes chez 1 513 personnes nées entre 1921 et 1936 et suivies toute leur vie dans les cohortes Lothian Birth de l’université d’Edimbourg ; ces cohortes, qui avaient pour objectif d’étudier le vieillissement cognitif, ont mesuré de nombreux paramètres comme les facteurs psychosociaux, biomédicaux, génétiques mais aussi épigénétiques, avec la mesure du méthylome des cellules sanguines tous les trois ans. C’est la dernière mesure du méthylome qui a été utilisé pour tester CheekAge et son association au risque de mortalité.
De façon intéressante, les sites de méthylation les plus fortement associés à la mortalité étaient situés à proximité de gènes connus pouvant influencer la durée de vie ou le risque de maladies liées à l'âge. Par extension, il serait intéressant d’explorer dans des modèles animaux certains gènes à proximité comme le gène PDZRN4, un suppresseur de tumeur possible, et ALPK2, un gène impliqué dans le cancer et la santé cardiaque ; d'autres gènes semblent impliqués dans le développement du cancer, de l'ostéoporose, de l'inflammation et du syndrome métabolique. « Nous démontrons que des sites de méthylation spécifiques sont particulièrement importants pour cette corrélation, révélant des liens potentiels entre des gènes et des processus spécifiques et la mortalité humaine capturée par notre horloge », a déclaré le Dr Maxim Shokhirev, premier auteur de l'étude.
Ils retrouvent ainsi une association entre le calcul de CheekAge et la mortalité des individus, et ce avec le méthylome sanguin alors que cette horloge a été entraînée à partir d’un prélèvement dans la joue.
Quelle utilisation de CheekAge ?
Pour les auteurs, les horloges épigénétiques permettront de mieux comprendre le vieillissement biologique. « Des études futures avec CheekAge pourront identifier d’autres associations que la mortalité, écrivent-ils. Par exemple, l'incidence de diverses maladies liées à l'âge ou la durée de l’espérance de vie en bonne santé, la période de vie en bonne santé sans maladie chronique liée à l'âge et sans handicap ». La question de l’utilisation clinique n’est pas abordée.
À ce sujet, le Pr Dusko Ilic du King’s College de Londres réagit sur la place à accorder pour un tel outil : « Si le développement de CheekAge représente une avancée significative dans le domaine des biomarqueurs de vieillissement non invasifs, l'utilisation du terme “prédictif de mortalité” soulève des questions éthiques. Je pense que cette formulation peut être trompeuse, car elle implique une capacité déterministe à prévoir la mort, ce qui n'est pas scientifiquement ou éthiquement approprié dans ce cas particulier. En réalité, ces horloges fournissent des évaluations probabilistes des risques plutôt que des prédictions concrètes. Une approche plus nuancée consisterait à présenter CheekAge comme un outil d'évaluation de l'âge biologique et des risques sanitaires associés, en encourageant les interventions visant à prolonger le vieillissement en bonne santé plutôt que de se concentrer sur la mortalité ».
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