LE QUOTIDIEN : Quel regard portez-vous sur les guérisons inexpliquées ?
Pr CHRISTIAN LABOISSE : Je me suis rendu à Lourdes, dans le service qui s'occupe des enregistrements, avec des dossiers énormes. L’approche est très rigoureuse, presque méfiante, avec le recours systématique à des spécialistes pour appliquer des critères scientifiques stricts et définir ce qui est réellement inexpliqué. Au XIXe siècle, les gens venaient par milliers pour tenter de guérir. J'ai examiné les ex-voto, ces plaques de remerciements : leur étude est très instructive sur l'évolution de la médecine.
Certains cas inexpliqués ont-ils contribué au progrès médical ?
Prenez la tuberculose au XIXe siècle. Les ex-voto de l'époque témoignent de guérisons de phtisie tuberculeuse, ce qui allait totalement à l'encontre de la doctrine médicale du temps. Quand on faisait ce diagnostic, avec la fièvre et les poumons complètement détruits par la maladie, on n'imaginait pas une régression possible. Mais Laennec, l'inventeur du stéthoscope, avait observé que chez certains patients, très rares, les cavernes pulmonaires disparaissaient. Il distinguait parfaitement les stades avancés, comme si la voix sortait directement du thorax. Pour lui, il s'agissait d'un processus de cicatrisation, suggérant une immunité particulière. C'est ainsi qu'on a commencé à comprendre que la tuberculose n'était pas forcément une condamnation.
Des « histoires de chasse » ont mené à la découverte des cancers hormonodépendants
Toujours au XIXe siècle, certains chirurgiens observaient des cas surprenants de cancers du sein. Le chirurgien britannique Georges Thomas Beatson avait remarqué que certaines tumeurs, même métastatiques, régressaient de façon inexplicable, particulièrement chez les femmes ayant eu une ablation des ovaires. Ces observations, qu'on appelait alors des « histoires de chasse », ont mené à la découverte des cancers hormonodépendants. Mais avant cette compréhension, les chirurgiens ont malheureusement pratiqué beaucoup de mutilations inutiles. C'est toute l'histoire de la médecine : on découvre souvent par sérendipité.
L'histoire de William Coley semble marquante…
C'est un cas fascinant de découverte par l'observation. Ce chirurgien américain travaillait au New York Cancer Hospital, qui est aujourd'hui La Mecque de la cancérologie. Il opérait des sarcomes, notamment chez des jeunes patients, mais les récidives étaient fréquentes. En 1884, il suit le cas d'un émigrant allemand opéré d'un sarcome récidivant du cou. Après plusieurs attaques d'érysipèle, cette infection à streptocoques, sa tumeur régresse presque complètement. Coley a parcouru tout Manhattan pour retrouver ce patient, qu'il a découvert bien vivant et en rémission.
Par la suite, il a tenté d'injecter directement des streptocoques à ses patients atteints de sarcome. Ça fonctionnait, mais les infections tuaient aussi les malades. Il a alors développé les « toxines de Coley », un traitement très personnel, puisqu’il était le seul à savoir les fabriquer. Dans ses conférences, il donnait des explications étranges, rejetant tout lien avec le système immunitaire qu'on commençait à peine à comprendre. On lui disait qu'il était le père de l'immunothérapie, ce à quoi il répondait : « Non, pas du tout, j'ai mes théories. »
Comment la communauté médicale a-t-elle réagi ?
Le cas illustre parfaitement les tensions qui peuvent exister en médecine. James Ewing, qui a donné son nom au sarcome d'Ewing, s'est violemment opposé à Coley. Il promouvait la radiothérapie et le radium, des traitements très coûteux. L'animosité entre les deux hommes était incroyable, mais ils représentaient en fait les deux grandes approches qui allaient façonner la cancérologie du siècle dernier. Les toxines de Coley ont été interdites en 1960, mais à la fin du XXe siècle, on a développé tout un arsenal permettant de mieux comprendre et manipuler la réaction immunitaire, avec des succès thérapeutiques phénoménaux.
Ces cas inexpliqués sont-ils toujours pertinents avec les progrès de la médecine moderne ?
Absolument. J'ai été confronté à plusieurs cas troublants dans ma carrière. Je me souviens d'une jeune femme avec un cancer du col utérin. Dans les chaînes ganglionnaires, j'ai retrouvé des cellules tumorales qui ne ressemblaient pas totalement à la tumeur initiale. En cherchant dans la littérature, j'ai découvert que dans les années 1930, on avait déjà observé des cancers avec métastases ganglionnaires qui évoluaient étonnamment bien. Plus tard, on a compris qu'il s'agissait en fait de résidus embryonnaires, de simples marqueurs biologiques.
Il faut savoir regarder l'accidentel, l'inattendu. Quand vous examinez les ex-voto, vous comprenez ce qu'est vraiment la médecine. Ces cas qui défient nos certitudes nous poussent à remettre en question nos modèles, à « démembrer » certaines maladies pour mieux les comprendre. C'est ainsi que la médecine progresse, en sachant observer ce qui sort du cadre plutôt qu'en l'ignorant. Parfois, ce qui est considéré comme inexplicable révèle simplement les limites de nos connaissances à un moment donné.
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