Alors que les causes des dépôts de protéine tau et de peptide bêta-amyloïde ne sont pas complètement élucidées dans la maladie d’Alzheimer, les virus neurotropes de type herpès pourraient jouer un rôle dans la physiopathologie. L’hypothèse, explorée depuis quelques années, intéresse de plus en plus les scientifiques. Trois études ont été publiées récemment, deux sur le HSV-1 et une sur le cytomégalovirus.
L’hypothèse infectieuse est déjà vérifiée dans une autre maladie neurodégénérative : l’infection au virus Epstein-Barr (EBV) est un préalable au déclenchement de la sclérose en plaques (SEP). Toutes les personnes infectées ne développeront pas de SEP mais le virus semble jouer un rôle majeur. Le risque de survenue d’une SEP est multiplié par 32 après une infection à EBV, comme l’a démontré une étude publiée en 2022 dans Science. De façon similaire, si toutes les personnes infectées par le HSV-1 ne développeront pas de maladie d’Alzheimer, il est possible que le virus soit impliqué dans le processus.
« C’est une très vieille hypothèse, les premiers papiers pour la maladie d’Alzheimer remontent aux années 1980, explique la Dr Catherine Helmer, épidémiologiste à l’Inserm au Centre Bordeaux Population Health, qui s’y intéresse avec son équipe depuis des années. Pendant longtemps, ce n’était pas la pensée dominante, c’était même considéré comme farfelu. Mais il y a un regain d’intérêt des scientifiques, en particulier depuis le Covid-19 et tout ce qui touche aux virus. » Le laboratoire britannique de Ruth Itzhaki est pionnier et, depuis, des équipes y travaillent, en Europe (notamment en Italie, Espagne et France) et ailleurs (États-Unis, Japon).
Ce virus neurotrope présente une zone de latence dans le ganglion trigéminé, très proche de régions cérébrales précocement atteintes dans la maladie d’Alzheimer
Dr Catherine Helmer, épidémiologiste à Bordeaux
Si deux des nouvelles études éclairent la physiopathologie du HSV-1 en particulier, ce n’est pas un hasard. « Ce virus neurotrope présente une zone de latence dans le ganglion trigéminé, très proche de régions cérébrales précocement atteintes dans la maladie d’Alzheimer, notamment l’hippocampe et le locus cœruleus, situé dans le tronc cérébral, rappelle la Dr Helmer. Le HSV-1 peut passer dans le cerveau, d’ailleurs les zones atteintes en cas d’encéphalite herpétique sont très similaires à ce qui est observé dans la maladie d’Alzheimer ». Mais si le HSV-1 est un suspect idéal, d’autres virus tels que le virus varicelle-zona (VZV) ou le cytomégalovirus (CMV), l’un des huit herpès virus infectant l’homme, pourraient aussi jouer un rôle dans le développement de l’Alzheimer.
C’est ce que tend à prouver l’une des études récemment publiées (1) pour le CMV en montrant, dans des organoïdes cérébraux, que l’infection entraîne des dépôts de peptide amyloïde et de protéine tau, caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs suggèrent que chez certaines personnes, le virus resterait dans un état actif au niveau digestif et qu’il existerait une voie complexe de propagation de l’infection, du côlon transverse jusqu’au niveau cérébral (liquide cérébrospinal, gyrus frontal supérieur) via le nerf vague. En témoignent les taux de virus et/ou d’immunoglobulines (Ig) G4 anti-CMV qui sont corrélés entre les différents compartiments. Une fois dans le cerveau, les marqueurs de l’infection sont reconnus par les cellules immunitaires de la microglie qui activent l’expression du gène CD83. « Nous pensons avoir trouvé un sous-type biologiquement unique d’Alzheimer qui affecterait 25 à 45 % des personnes atteintes », a déclaré Ben Readhead, chercheur au Biodesign Institute de l’université d’Arizona et premier auteur.
Un faisceau cohérent d’arguments
Quel est donc le rôle des virus ? « On est loin de tout connaître, reconnaît la médecin chercheuse. Mais il existe un faisceau d’arguments cohérent d’après les données in vitro, sur des organoïdes et chez l’animal. Au niveau épidémiologique, les personnes avec des marqueurs de réactivation virale ont plus de risque de développer la maladie d’Alzheimer (2). Mais toutes les études ne concordent pas, probablement parce que d’autres facteurs au-delà de l’infection sont impliqués. »
La baisse des défenses immunitaires contribue sans doute à la réactivation du virus
Dr Catherine Helmer
D’autres paramètres interagissent de façon très probable, par exemple la génétique et la neuro-inflammation. « Le statut immunitaire joue aussi très certainement, puisqu’il diminue avec l’âge et de façon variable entre les individus, poursuit l’épidémiologiste. La baisse des défenses immunitaires doit contribuer à la réactivation du virus, comme d’autres phénomènes peuvent le faire, tels que les co-infections ou encore les traumatismes crâniens, comme le suggère l’une des trois études récentes. La maladie d’Alzheimer est le résultat d’une somme d’événements survenus toute la vie et l’exposition à d’autres pathogènes, aux polluants ou aux toxiques peut avoir sa part. » L’étude anglo-saxonne publiée en janvier dans une revue de Science (3) montre ainsi dans des organoïdes cérébraux que des traumatismes mécaniques répétés (chocs directs, secousses violentes) entraînent la réactivation du HSV-1 et la production de bêta-amyloïde et de tau phosphorylé.
Rôle initiateur ou amplificateur ?
La question centrale pour le HSV-1 est de savoir à quel moment le virus intervient dans la maladie. « A-t-il un rôle initiateur ? Ou amplifie-t-il un processus déjà enclenché ? Est-il cause ou conséquence ? Les deux se défendent. Comprendre l’ensemble du processus, c’est ce qui nous manque le plus. Mais il y a des éléments qui plaident pour un rôle déclencheur : le fait d’infecter des cellules ou des animaux avec le virus entraîne davantage de production de bêta-amyloïde et de tau. » La troisième étude, publiée dans Cell Reports (4), suggère que la phosphorylation de tau est au départ une réponse protectrice du système immunitaire inné contre le virus (comme cela avait déjà été avancé pour la protéine amyloïde) avant qu’elle ne se révèle délétère par la suite. « Notre étude remet en cause l’hypothèse communément admise que tau est seulement nocive, en montrant qu’elle pourrait initialement agir comme une défense immunitaire du cerveau, explique Or Shemesh, chercheur à l’université de Pittsburgh et auteur senior. Ces résultats mettent en avant les interactions complexes entre les infections, les réponses immunitaires et le processus neurodégénératif, ce qui offre une perspective inédite et de nouvelles cibles potentielles de traitement. »
L’hypothèse infectieuse ouvre de nouvelles pistes de traitement, en particulier avec les antiviraux
L’hypothèse infectieuse ouvre de nouvelles pistes de traitement, en particulier avec les thérapies antivirales. « Un essai est en cours aux États-Unis chez des patients au stade de troubles cognitifs légers ou de démence débutante, rapporte la Dr Helmer. Il devrait se terminer en 2025. » De nombreuses équipes travaillent sur le sujet, chacune apportant sa pierre à l’édifice. Parmi les pistes explorées, certains étudient le lien entre CMV et réactivation d’HSV-1, le CMV étant un reflet du statut immunitaire et pouvant entraîner une neuro-inflammation ; d’autres se penchent sur la piste vasculaire car ce virus touche les cellules endothéliales. La Dr Helmer et son équipe attendent quant à eux en 2025 des données chez l’homme sur l’association entre HSV-1 et maladie d’Alzheimer à partir du liquide cérébrospinal.
(1) B. Readhead et al., Alzheimer’s & Dementia, 2025. DOI :10.1002/alz.14401
(2) Linard et al. Alzheimers Dement 2020. DOI : 10.1002/alz.12008
(3) D. Cairns et al., Sci. Signal, 2025. DOI :10.1126/scisignal.ado6430
(4) V. Hyde et al., Cell, 2025. DOI :10.1016/j.celrep.2024.115109
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