La maladie d’Alzheimer pourrait-elle se développer sous l'influence de la vie embryonnaire ? C'est ce que suggèrent Khadijeh Shabani et ses collègues de l’équipe « Développement du cerveau » dirigée par Bassem Hassan (Inserm) à l’Institut du Cerveau (ICM).
Dans « Science Advances », les chercheurs se sont intéressés à la protéine précurseur de l'amyloïde (APP), très étudiée pour sa transformation protéolytique lors de la maladie d'Alzheimer. L'équipe montre ici que l'APP possède un rôle biologique spécifique lors du neurodéveloppement : elle retarde le début de la neurogenèse, c’est-à-dire de la différenciation des cellules souches en différentes lignées de cellules nerveuses.
« De subtiles perturbations de ce mécanisme pourraient, chez certains individus, induire des vulnérabilités qui ne se révèlent qu’à l’âge adulte après un stress biologique de plusieurs dizaines d’années », lit-on dans un communiqué de l'ICM.
L’APP, chef d’orchestre de la production neuronale
« Nous nous sommes intéressés à la protéine précurseur de l’amyloïde, ou APP, qui est exprimée de manière très importante tout au long du développement du système nerveux, explique Bassem Hassan. Elle constitue une cible de recherche particulièrement intéressante dans la mesure où sa fragmentation produit les fameux peptides amyloïdes, dont l’agrégation toxique est associée à la mort neuronale observée dans la maladie d’Alzheimer. Ainsi, nous soupçonnons que l’APP pourrait tenir un rôle central dans les phases précoces de la maladie. »
Pour traquer l’expression de l’APP au cours du développement du cerveau humain, les chercheurs ont utilisé des données issues du séquençage de cellules obtenues chez le fœtus à 10 semaines, puis à 18 semaines de gestation. Ils ont observé que la protéine était d’abord exprimée dans six types cellulaires, puis, quelques semaines plus tard, dans pas moins de 16. Ils ont ensuite produit, grâce à la technique des ciseaux génétiques Crispr-Cas9, des cellules souches neurales dans lesquelles l’APP n’était pas exprimée avant de comparer ces cellules génétiquement modifiées avec les cellules obtenues in vivo.
« Cette comparaison nous a permis d’obtenir de précieuses données, détaille Khadijeh Shabani. Nous avons observé qu’en l’absence d’APP, les cellules souches neuronales produisaient beaucoup plus de neurones, plus rapidement, et étaient moins enclines à proliférer à l’état de cellules progénitrices. » Plus précisément, l’équipe a montré que l’APP intervenait dans deux mécanismes génétiques finement huilés : d’une part la signalisation WNT canonique, qui contrôle la prolifération des cellules souches, et d'autre part l'activation AP-1, qui déclenche la production de nouveaux neurones. En agissant sur ces deux leviers, l’APP est en mesure de réguler la temporalité de la neurogenèse.
Neurogenèse humaine
La perte de l’APP accélère fortement la neurogenèse cérébrale chez l’humain, ce qui n’est pas le cas chez le rongeur. « Pour se former, notre cerveau a besoin de générer d’énormes quantités de neurones pendant une période très longue et selon un plan bien précis. Or, des anomalies liées à l’APP pourraient provoquer une neurogenèse prématurée et un stress cellulaire important, dont les conséquences seraient observables plus tard, propose Bassem Hassan. D’ailleurs, les régions cérébrales dans lesquelles apparaissent les signes précoces de la maladie d’Alzheimer sont aussi celles dont la maturation est la plus longue au cours de l’enfance et de l’adolescence. »
Même si le diagnostic des maladies neurodégénératives est généralement posé après 60 ans, les chercheurs estiment que le déclin de certaines connexions et populations neuronales commence plusieurs décennies avant les signes cliniques. Cette perte de connectivité pourrait être due à des anomalies à l’échelle moléculaire présentes dès l’enfance, ou même plus tôt.
De nouvelles études seront nécessaires pour confirmer que l’APP tient une place centrale dans des perturbations du neurodéveloppement qui font le lit de la maladie d’Alzheimer. Auquel cas, on pourrait considérer que « ces perturbations conduisent à la formation d’un cerveau qui fonctionne normalement à la naissance, mais est particulièrement vulnérable à certains événements biologiques – comme l’inflammation, l’excitotoxicité ou les mutations somatiques – et certains facteurs environnementaux tels que l’alimentation, le sommeil, les infections, etc., complète le chercheur. Avec le temps, ces différents stress pourraient installer une neurodégénérescence – un phénomène propre à l’espèce humaine et rendu particulièrement visible par l’allongement de l’espérance de vie. »
D'après le communiqué de l'Institut du Cerveau
K. Shabani et al, Sci Adv2023. DOI: 10.1126/sciadv.add5002
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