En cette fin de XIXe siècle la rage fait encore… rage en Europe. Ainsi, par exemple, à Londres, dans les deux premiers mois de 1877, on enregistre pas moins de 29 morts " par hydrophobie" et le "Rabies Order " donne le droit aux autorités de la City de museler, contrôler, saisir, enfermer et disposer des chiens errants pour combattre la "rage des rues".
Après le choléra des poules, la rage des chiens...
En 1878, Pasteur qui vient d'identifier trois espèces de bactéries – le streptocoque, le staphylocoque et le pneumocoque – établit le fait que les maladies infectieuses sont dues chez l'homme comme chez l'animal à des micro-organismes. Au cours des deux années suivantes, le savant jurassien va chercher les moyens d'immuniser l'homme et l'animal contre ces micro-organismes responsables de certaines maladies graves.
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En 1880, Louis Pasteur réussit donc à vacciner des poules contre le choléra des basses-cours comme il l'explique le 26 mai dans une communication à l'Académie des Sciences : " Prenons 40 poules. Inoculons en 20 avec le virus très virulent; Les 20 poules mourront. Inoculons les 20 autres avec le virus atténué; Toutes seront malades, mais elles ne mourront pas. Laissez-les se guérir, et revenons ensuite pour ses 20 poules à l'inoculation du virus très infectieux. Cette fois, il ne tuera pas. La conclusion est évidente; La maladie se préserve d'elle-même. ..Le microbe affaibli qui n'amène pas la mort se comporte comme un vaccin. …". Les poules ayant résisté à ces injections de souches virulentes. Pasteur va étendre le principe de la vaccination à d'autres maladies comme le charbon ou le rouget du Porc.
Le courroux de la Ligue internationale des antivaccinateurs
À partir de cette même année, après avoir assisté à l'hôpital, Sainte-Eugénie à la mort d'une enfant victime de la rage, Pasteur va, jusqu'en 1885, consacrer l'essentiel de son activité scientifique à découvrir un traitement contre la rage, s'attirant en 1883 le courroux de la Ligue internationale des antivaccinateurs qui envoie au ministre français de la Santé publique la lettre suivante :
"Monsieur le Ministre,
Les journaux français annoncent que vous avez déposé sur le bureau de la chambre des députés un projet de loi tendant à élever de 12 000 francs à 25 000 francs la pension que l'Assemblée nationale avait accordé à Monsieur Pasteur en récompense de ses travaux. Il est bon de voir les peuples honorer et gratifier largement les savants qui consacrent leurs veilles et leur intelligence à l'étude de phénomènes de la nature pour élargir le domaine de la science et accroître la prospérité publique.
Mais quand les honneurs et les faveurs des gouvernements s'adressent à des illustrations passagères, à des hommes dont le principal mérite consiste dans l'habileté avec laquelle ils ont imaginé des théories complètement fausses en principe et dont l'application ne produit que des conséquences dangereuses, funestes mêmes, les représentants de la science vraie, exacte et positive doivent élever leur voix pour protester contre cet entraînement injustifiable.
Jenner pour avoir imaginé et appliqué la vaccine a été l'objet de somptueuses gratifications nationales, qui ont eu pour effet de populariser la méthode. Et la vaccine aujourd'hui est bien près d'être répudiée universellement par la science comme une méthode néfaste qui a contribué à propager dans l’humanité une foule de maladies , la petite vérole elle-même que Jenner se proposait de combattre et d'extirper.
Monsieur Pasteur est le continuateur de Jenner. Il a imaginé les vaccinations multiples contre diverses affections contagieuses. Il prétend avoir trouvé le moyen de combattre les maladies du vers à soie, des poules et du vin. Il a accumulé ses assertions, toutes aussi risquées que gratuites sous le nom de grandes découvertes scientifiques. Que restera-t-il de tout cela dans un temps peu éloigné ? Que des déceptions et des désastres. Il aura fallu près d'un siècle pour montrer les erreurs de la vaccine. Il n'en faudra pas le quart pour anéantir les doctrines fantaisies de Monsieur Pasteur, qui sont en contradiction avec les lois de la biologie générale.
Au nom de la ligue universelle des antivaccinations, qui compte dans son sein des sommités de la science biologique, nous venons protester, Monsieur le Ministre, non contre l'allocation viagère que vous avez l'intention de faire accorder à Monsieur Pasteur, mais contre les considérations scientifiques sur lequel est appuyé votre projet de loi. La science ne reconnaît dans les grandes découvertes de Monsieur Pasteur, qu'un tissu de conceptions dogmatiques et d'essais malheureux, plus propre à ruiner qu'à enrichir les pays qui les adopteraient.
D'ailleurs, une réaction générale s'élève de toutes parts, même en France contre ses prétentions et ses doctrines, ainsi que vous pouvez vous en assurer par la lecture de la brochure ci jointe : l'école vaccinatrice et l'école antivaccinatrice dont nous avons l'honneur de vous adresser un exemplaire.
Agréez Monsieur le Ministre, l'expression de notre profond respect. Pour le comité général de la ligue internationale des antivaccinateurs, Londres le 25 avril 1883. "
Culture de moelles épinières de lapins rabiques
Cette supplique restera lettre morte et Pasteur avance dans ses recherches. Il découvre ainsi que le virus inconnu de la rage se trouve dans les centres nerveux des animaux malades en particulier dans le bulbe et dans la moelle; Pasteur va donc utiliser les moelles épinières de lapins rabiques comme de véritables cultures. Il les inocule de lapin à lapin pendant plusieurs générations afin d'obtenir un virus "fixe" . La moelle épinière contenant ce virus "fixe" est placée dans un flacon contenant de la potasse. L'oxygène de l'air et la dessication atténuent d'autant plus le virus que la durée de ce traitement est longue.
Dès lors, Pasteur est en mesure de réaliser un vaccin antirabique à partir de ce virus atténué. Une commission ministérielle ayant contrôlé les résultats de ses expérimentations, il les présente en août 1884 au Congrès International de Copenhague. Mais Pasteur ne va pas en rester là. En vaccinant des chiens déjà inoculés ou mordus, il s'aperçoit que ces chiens résistent à la maladie et que le vaccin est non seulement préventif, mais curatif.
11 juin 1885 : pas encore prêt à appliquer le vaccin à l’homme...
L'étape suivante est d'appliquer ce vaccin à l'homme. Le 11 juin 1885, Pasteur ne se sent pas encore prêt à franchir le pas comme il l'écrit au maire de Levier dans le Doubs :
" Je reçois votre lettre d'hier, 11 juin, relative à cet enfant et à ce père mordus tous deux par un chien rabique et ce qu'il y aurait à faire. J'ai le vif regret de vous informer que je n'ai pas encore tenté d'amener l'état réfractaire à la rage sur des sujets humains. Je le fais facilement sur les chiens, même après qu'ils ont été mordus. Je ne suis pas éloigné d'oser le faire sur des hommes, mais mes recherches au point où elles en sont ne me permettent pas encore d'agir sur l'homme. …..Dites bien à ces braves gens que la morsure d'un chien rabique est loin d'annoncer le mal. Ils ont plus de 80 bonnes chances sur 100 qu'ils continueront de bien se porter. Qu'on ne fasse rien, qu'on ne se livre à aucun remède, il n'y en a pas… Faites en sorte qu'un médecin surveille bien les personnes afin de saisir les moindres changements de caractère, d'excitation nerveuse, de mal de tête, et que par dépêche on me les signale. La mort est invincible dés que commencent les premiers symptômes, en général après 6 semaines, deux mois. Il n'y a donc aucun scrupule à agir et je tenterai quelque chose sans hésiter quoique je sache qu'à ce moment, il est déjà bien tard pour opérer."
VIDEO : Un humain atteint de la rage
... Le 6 juillet 1885, oui !
Mais arrive le 6 juillet 1885 où Pasteur reçoit la visite de Marie-Angélique Meister dont le fils Joseph a été mordu par un chien ayant de fortes chances de porter la rage. Âgé de neuf ans, l'enfant qui habite Steige, dans le Bas-Rhin, a été mordu sur le chemin de l'école, par le chien de Théodore Vonné, l'épicier du village voisin de Maisonsgoutte. L'animal a également attaqué son maître. Après avoir abattu son chien, l'épicier a emmené le petit Joseph chez le docteur Weber de Villé. Le médecin a nettoyé et cautérisé les nombreuses plaies du garçon à l'acide phénique avant de conseiller à sa mère d'aller voir Pasteur à Paris, ayant entendu dire que celui-ci était sur le point de trouver un vaccin contre la rage.
Meister rapportera plus tard que sa mère et lui furent en arrivant à Paris fortement dissuadés de faire appel à Pasteur : " Monsieur Pasteur avait à cette époque beaucoup d'ennemis, surtout dans le monde médical et nous eûmes beaucoup de peine à le trouver. Dans les hôpitaux où nous nous adressions on voulait me garder en disant que je serais aussi bien soigné là que chez monsieur Pasteur et que, d'ailleurs, Monsieur Pasteur n'était pas à Paris. Ma mère, outrée, répondait qu'elle était venue de loin pour le trouver et qu'elle irait le chercher là où il était. Comme on ne lui donnait cependant pas l'adresse, elle se mit à pleurer. En voyant son insistance, on nous envoya à l'Hôtel-Dieu, où nous avions déjà été, en nous donnant un mot pour le directeur. Enfin, on nous donna son adresse. Il travaillait à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm… ".
[[asset:image:6231 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Pasteur, après avoir pris l'avis des Drs Vulpian et Grancher, invités à venir constater les blessures de l'enfant, va finir par se décider à vacciner Joseph : "La mort de cet enfant paraissant inévitable, je me décidai, non sans de cruelles et vives inquiétudes, on doit bien le penser, à tenter sur Joseph Meister la méthode qui m'avait constamment réussi sur les chiens".
La première inoculation de moelle de lapin mort rabique va être effectuée par le Dr Grancher le 6 juillet 1885 à huit heures du soir et neuf autres injections suivront, la dernière étant faite le 16 juillet à 11h. Le garçon ne développa pas la maladie et put rentrer en Alsace le 27 juillet. Son traitement fut le premier cas de vaccination antirabique d'un sujet humain que Pasteur publia (il avait déjà essayé vainement le vaccin dans un cas de rage déclarée, celui de la fillette Poughon).
Dans l'année qui va suivre, Pasteur et son équipe vont réaliser 350 inoculations qui ne seront pas toutes couronnées de succès. Néanmoins le succès de la vaccination de Meister permit de lancer une souscription et la création de l'Institut Pasteur.
Soigné par Pasteur, Meister finit sa vie sa vie comme gardien… de l’Institut Pasteur
Joseph Meister, quant à lui, après être retourné en Alsace et avoir fait son service militaire dans l'armée allemande, va solliciter en 1912 un poste à l'Institut Pasteur qui lui trouve un emploi dans l'un de ses laboratoires parisiens. En 1918, il devient gardien de l'Institut et le restera jusqu'à sa mort tragique en 1940. Le 24 mai, il se suicide à l'aide de son fourneau à gaz, se sentant coupable d'avoir envoyé à la mort, n'ayant plus aucunes nouvelles d'elle, sa femme et ses deux filles en les poussant à fuir Paris que s'apprêtaient à envahir les Allemands. Le soir même de son suicide, Mme Meister et ses deux filles rentraient à Paris.
VIDEO Un entretien avec Joseph Meister à la radio en 1938
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