Quelles sont les raisons qui ont poussé l’ANSM à serrer la vis sur la durée de prescription du tramadol ?
Nathalie Richard : Avec une hausse de sa consommation de 68 % entre 2006 et 2017, le tramadol est l’antalgique opioïde le plus prescrit en France. En 2017, 6,8 millions de Français en ont consommé au moins une fois dans l’année. Mais c’est son mésusage croissant qui nous a poussés à mettre en place cette mesure : le tramadol est l’antalgique opioïde le plus impliqué dans des usages problématiques (dépendance, sevrage) en 2018 et la molécule la plus impliquée dans les décès liés à la prise d’antalgiques opioïdes. C’est également l’antalgique le plus fréquemment retrouvé sur les ordonnances falsifiées après la codéine. Face au constat de mésusage grandissant, nous devions mieux encadrer son utilisation.
N’est-on pas en train de payer au prix fort le retrait du dextropropoxyphène ? Fallait-il vraiment interdire cet antalgique ?
N. R. : En France, nous n’avons pas eu le choix puisque l’on devait appliquer la décision européenne qui imposait le retrait du dextropropoxyphène. Mais il vrai qu’en quelque sorte, le tramadol a pris la place laissée vacante suite au retrait du dextropropoxyphène, entre le paracétamol/ibuprofène et la morphine.
L’augmentation de la consommation du tramadol en France est-elle si alarmante ?
N. R. : Non, la situation française est sans comparaison avec la crise des opioïdes observée depuis les années 2000 en Amérique du Nord. Ici, la consommation de tramadol s’est même stabilisée depuis 2013.
Le problème en France n’est pas tant l’importance de la con- sommation de tramadol, dont le rapport bénéfice/risque reste favorable, que son mésusage. C’est pour cela que nous voulons débanaliser son utilisation et renforcer le suivi médical des patients concernés sans pour autant remettre en cause sa prescription, y compris au long cours lorsqu’elle est justifiée.
Actuellement, un patient peut prendre du tramadol sur une longue période sans revoir régulièrement son médecin. C’est typiquement le cas des prescriptions instaurées en sortie d’hospitalisation ou aux urgences.
Cela va changer. Au-delà de trois mois, la poursuite d’un traitement par tramadol per os nécessitera une nouvelle ordonnance. Et donc une nouvelle consultation qui sera l’occasion pour le médecin de réévaluer la pertinence de l’indication et de repérer une éventuelle dépendance. Le médecin pourra également réévaluer la posologie et veiller à ce que l’antalgique soit délivré dans les plus petits conditionnements possibles. C’est important : en 2016, dans 49 % des cas, la quantité consommée était supérieure à celle recommandée dans l’AMM et 8 % des patients consomment des quantités supérieures à 3 g par jour.
En pratique, quels signes doivent faire suspecter une dépendance ?
N. R. : Il faut savoir que la dépendance peut survenir parfois après une période très courte de consommation (inférieure à une semaine), y compris chez des personnes ayant respecté les doses thérapeutiques (environ un cas sur deux).
Il peut y avoir les signes d’un sevrage, d’un manque avec une anxiété, une insomnie et des troubles physiques comme des sueurs ou des douleurs musculaires. Si le patient ressent le besoin d’augmenter les doses ou n’arrive pas à arrêter son traitement, cela peut être le signe de l’apparition d’une dépendance.
Si le médecin détecte une dépendance, il peut adresser le patient à une structure spécialisée (Centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie ou Centres d'évaluation et de traitement de la douleur). À la fois antidouleur et antidépresseur, le sevrage en tramadol est complexe.
Justement, comment comptez-vous accompagner les médecins et notamment les généralistes qui vont se retrouver en première ligne ?
N. R. : Le problème est pris très au sérieux. En septembre dernier, le ministère de la Santé a publié une nouvelle feuille de route 2019-2022 pour « prévenir et agir face aux surdoses d’opioïdes ». Les autorités insistent notamment sur l’information et la sensibilisation des professionnels de santé sur le bon usage des opioïdes, le repérage et la prise en charge des conduites addictives.
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