Pourquoi avoir pris les rênes d'Unicancer ? Votre emploi du temps est déjà surchargé.
C'est en ligne directe avec ce que j'accomplis au quotidien, en tant qu’oncologue, soigner au mieux les patients et leur trouver de nouvelles solutions. Les centres de lutte contre le cancer (CLCC) sont un des joyaux du système de santé français. Leur production scientifique, leur capacité d’innovation, leurs contributions à l’histoire des recommandations de pratiques, l’excellence dans la qualité de prise en charge en font un réseau d’une valeur inestimable. Ce modèle du comprehensive cancer center est en fait universel, et existe dans la plupart des pays : ces établissements spécialisés en oncologie transversale sont essentiels, et travaillent en réseaux coordonnés au sein d'Unicancer. Au moment où le système de santé fait face à de nombreuses difficultés, ce modèle est remarquablement efficace, et il faut le développer encore.
Quel est l'avenir des centres de lutte contre le cancer ? Ici même, il y a un an, Alexander Eggermont alors à la tête de l'Institut Gustave-Roussy appelait à une coopération, voire une intégration aux CHU ?
Je partage l'idée sur le renforcement de la coopération avec les CHU. Pour l’intégration, je note que l’ancien DG de l'IGR a rejoint un centre de lutte contre le cancer, spécialisé en pédiatrie, ce qui conforte ainsi notre vision. Notre système public est plus fort par cette pluralité dans le domaine du cancer. Il n'est pas sûr, et je suis convaincu de l’inverse, que fusionner des structures différentes et travaillant ensemble, optimise la qualité et le service au patient. Il faut le démontrer par une analyse fine.
En fait, le maintien indépendant des deux formats permet une saine compétition, et offre une pluralité d’offres dans le secteur public à un moment ou les Français soulignent leur volonté de le soutenir. Les CLCC sont des centres d’exercice exclusivement public qui fonctionnent efficacement. Leur mission est de donner accès à l'excellence pour tous les patients sans dépassement d'honoraires au moment où une vague de nouvelles stratégies thérapeutiques curatives déferle en cancérologie. Ce n'est pas le moment de décrocher. Et l'enjeu est bien de collaborer plus avec tous les acteurs, public, Espic et libéraux, à l’hôpital et en ville. Nous avons dans le même temps à renforcer l'attractivité auprès des jeunes médecins, et le continuum clinique-recherche accessible à tous les médecins des centres en fait partie. Nous devons être implantés localement et nouer des partenariats multiples et sans exclusive.
Quelle est la situation financière des centres de lutte contre le cancer ?
Nous sommes globalement à l'équilibre, tous centres consolidés. Les efforts de gestion demandés chaque année portent leur fruit. La taille des établissements Unicancer permet l'agilité requise par le contexte présent, agilité scientifique, « organisationnelle » et financière.
Y aura-t-il un nouveau plan cancer ?
Je sais que l’Institut national du cancer (Inca) travaille activement sur ce sujet. Les plans cancer ont eu un impact extraordinaire sur la prise en charge des patients porteurs d'un cancer. L'IA a permis des avancées majeures, comme en témoigne la structuration des plateformes de biologie moléculaire, le lancement d'appel d'offres pour la création de SIRIC, de réseau des cancers rares, des programmes ACSE, de nombreux appels d’offres. Nombre de ces initiatives ont d’ailleurs été reprises au niveau européen. À l'avenir, j’ai compris que la stratégie décennale cancer pourrait se déployer sur la prévention et le dépistage, pour les cancers difficiles à traiter et l'après-cancer caractérisé par un risque accru d'un second cancer. Ainsi dans une des bases de données Unicancer, nous observons que sur plus de 300 000 patients, plus de 8 % des patients développent un second cancer. Peut-on les repérer plus tôt et développer une approche préventive ? Les défis ne manquent pas.
L'accès aux innovations thérapeutiques en France s'est-il amélioré ?
Oui, nous avons travaillé dans le bon sens. La collaboration menée avec l'ANSM est remarquable pour l’accélération des délais d’ouverture des protocoles de recherche. Mais il reste beaucoup à faire. Les avancées sont plus lentes pour le remboursement des nouveaux traitements. Une prise de conscience s’est opérée sur le décalage existant entre notre pays et certains voisins sur l’accès à certaines thérapeutiques. Ça va mieux, mais il reste beaucoup à accomplir, et nous voulons à Unicancer nous y engager encore plus activement.
Persistent toutefois des inégalités de prise en charge…
La résolution des iniquités de prise en charge est un objectif majeur d’Unicancer, une des ambitions de son ancrage local. L’expérience acquise sur certains réseaux, par exemple de cancers rares, rend optimiste là aussi, même si beaucoup reste à faire. Il est possible de mieux traiter tout le monde, et à moindre coût pour la collectivité en organisant les parcours, en travaillant ensemble de manière coordonnée.
Le PLFSS est-il à la hauteur des enjeux hospitaliers ?
Il traduit une exigence budgétaire. Il est vrai que l'Ondam hospitalier, s'il est voté en l'état, nécessitera des efforts de tous. Nous avons bénéficié d'une embellie l'année dernière qui n'a pas été reconduite. Or l'équation est difficile à résoudre pour les établissements avec des patients plus nombreux et des traitements innovants plus onéreux. Nous nous efforçons avec les autres fédérations hospitalières de faire comprendre aux pouvoirs publics les difficultés du terrain.
Alors que le climat social est lourd à l'hôpital public, quelle est la situation dans vos établissements ?
La situation dans les CLCC est bien sûr difficile, comme dans tous les établissements. Cependant, des signaux positifs demeurent, nous recensons depuis 2016 une diminution des journées de grève en dépit des tensions, le taux d'absentéisme est également inférieur à celui observé dans le secteur public. L'ensemble des personnels réalise au quotidien des efforts considérables et témoigne d'un engagement continu. Le dialogue social est riche. Il faut faire mieux encore.
Au sein de la fédération, y aurait-il un déséquilibre entre les gros centres à Paris ou Lyon par exemple et d'autres plus petits et où la recherche serait moins performante ?
L’hétérogénéité n'est pas un problème mais une richesse. Certes, un établissement de 2 500 salariés aura une activité de soin et de recherche différente d’un centre de 500 salariés. Mais l'ensemble des établissements contribue à l'effort de recherche à la hauteur de leur taille. Le vrai critère est la manière dont nous sommes coordonnés en réseau. La structure de recherche clinique d'Unicancer inclut à elle seule chaque année plus de 5 000 patients par an dans les essais, et les centres travaillent avec de nombreux autres réseaux. C’est un modèle unique…
Vous dressez là un tableau idyllique de la situation. Quels sont les problèmes au quotidien ?
Une vision objective des problèmes n’exclut pas l’optimisme ! Pour répondre à votre question, outre les problèmes de gestion déjà évoqués, le dialogue peut se tendre sur certains sites avec des partenaires naturels. Cela s'explique notamment par la démographie médicale, notre charge de travail croissante, la pression budgétaire… Notre ancrage universitaire, variable selon les centres, doit être également mieux travaillé. Et c'est dommage pour nous et pour les universités. Il faut aussi travailler sur notre attractivité, chez nous et dans tout le secteur public.
L'oncologie est l'une des seules disciplines en France qui résiste à la concurrence étrangère en matière d'essais cliniques. Mais on observerait des signes d'essoufflement.
Nous avons perdu du terrain au cours des dernières années. Une prise de conscience sur ce recul s'est opérée. Nous devons travailler sur trois goulets d'étranglement. Le premier, le dialogue avec l'ANSM, montre des signes rapides d'amélioration. Pour le deuxième, avec les CPP tirés au sort, des progrès notables ont été observés. Mais cela n'est pas encore suffisant. On ne peut pas, par exemple, avoir des évaluations sans experts engagés sur le terrain. Enfin le troisième point, le contrat unique - dont l'idée au départ est excellente, mais qui se heurte en pratique à des difficultés de mise en œuvre, parfois trop normatif - peut ralentir, voire bloquer certaines études. Dans le même temps, des compétiteurs voisins sont efficaces et renforcent leurs positions comme l'Espagne qui nous a désormais dépassés sur plusieurs paramètres. La compétition est saine, nous devons encore progresser.
En matière de big data, Unicancer dispose-t-il d'un plan spécifique ?
C'est un axe majeur de notre programme. Nous collaborons avec des start-up françaises et étrangères. Des acteurs des Gafa frappent à la porte. Les initiatives locales sont nombreuses. Il faut désormais les rassembler et les amplifier. Des premières études ont été publiées dans des revues de référence. Nous travaillons depuis plusieurs années sur des outils partagés tels que ConSoRe qui permet d'extraire des données à partir des dossiers électroniques issus de nos centres. Cette masse d’information considérable doit nous permettre d'avancer rapidement, et de nous connecter avec le Health Data Hub auquel nous contribuons déjà activement.
Sur les registres du cancer, la France accuse un sérieux retard.
La situation est contrastée en fait. Prenez l'exemple de l’étude Canto dans le cancer du sein, qui compte plus de 12 000 patientes, et dispose d’une production scientifique importante. Les registres de cancers rares qui ont été soutenus par l’Inca nous sont souvent enviés par la communauté oncologique internationale. Certes nous avons nos faiblesses, mais nous disposons aussi d'atouts dans ce domaine. Il nous faut capitaliser sur les expériences déjà menées au sein d'Unicancer et par d'autres partenaires. D’une manière générale, Unicancer a le souhait de s'ouvrir davantage à tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le cancer, nationaux et au-delà. Le terrain de jeu n'est, bien sûr, pas que français et face à cette compétition, travaillons ensemble !
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