Voilà des chiffres qui n’arrangent pas les comptes de la Sécu. En 2023, l’Assurance-maladie a dépensé plus de 25,5 milliards d’euros au titre du remboursement des médicaments délivrés en officine de ville, sur la liste en sus, via la rétrocession hospitalière ou en accès précoce. Depuis 2021, les dépenses de remboursement des médicaments sont reparties à la hausse, avec un taux de croissance annuel moyen de 3,4 % (après déduction des remises et de la clause de sauvegarde versée par les laboratoires pharmaceutiques). Si bien que les prises en charge des traitements représentent 12 % des dépenses totales sur le champ de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) et même 29 % des dépenses de soins de ville.
Alors que le gouvernement est en quête de cinq milliards d’euros d’économies sur la santé pour redresser les finances publiques, l’Assurance-maladie lance une vaste campagne de sensibilisation des patients à une consommation plus raisonnée des comprimés. « La juste utilisation du médicament, c’est un enjeu de santé publique et de soutenabilité financière », a plaidé devant la presse Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, jeudi 14 novembre, dressant un panorama détaillé des dépenses au titre des médicaments en France.
Le Doliprane, champion des prescriptions en volumes
Première confirmation : le paracétamol reste toujours de très loin la molécule la plus prescrite aux Français (plusieurs antalgiques de différents paliers apparaissant dans le haut du palmarès). Sous la marque Doliprane, plus de 308 millions de boîtes ont été délivrées en officine au cours des 12 derniers mois, ce qui représente 265 ,1 million d’euros de montants remboursés. Le Dafalgan et le Levothyrox complètent le podium des médicaments les plus prescrits.
« Près de 70 % des assurés ont bénéficié d’un remboursement d’antalgiques en 2023 », a souligné la Dr Sophie Kelley, responsable du département des produits de santé au sein de la Cnam. Une dynamique à surveiller sur le plan de la santé publique, d’autant plus qu’on trouve le Dafalgan codéiné à la dixième place. « Les prescriptions d’antalgiques de palier 2, comme le Tramadol et la codéine, feront bientôt l’objet d’ordonnances sécurisées », a-t-elle rappelé. À partir du 1er décembre 2024, les prescripteurs devront mentionner en toutes lettres le dosage, la posologie et la durée du traitement. La durée de validité des ordonnances de médicaments contenant de la codéine sera réduite à trois mois, comme pour le Tramadol.
L’antithrombotique Eliquis, médicament le plus remboursé en montants
Si le Doliprane reste le médicament le plus prescrit et consommé, il est loin d’être celui qui coûte le plus cher à la Sécu. Selon les données de la Cnam, c’est l’Eliquis, un antithrombotique, qui domine le classement des 20 médicaments les plus onéreux pour la Sécu en matière de remboursements : pas moins de 755 millions d’euros y sont consacrés sur une année glissante (à fin 2024), soit en moyenne 477 euros remboursés par patient. Pourtant, souligne la Cnam, ce médicament « n’a pas démontré son caractère innovant » avec une amélioration du service médical rendu (ASMR) IV ou V selon les indications.
Le classement est malgré tout composé de plusieurs médicaments ayant particulièrement fait leurs preuves, comme le Vyndaqel (743 millions d’euros de remboursements), disponible en officine de ville depuis 2021 dans toutes ses indications, qui présente une ASMR 2. C’est le cas également de Kaftrio, prescrit contre la mucoviscidose, qui figure à la quatrième place des traitements les plus coûteux pour la Sécu.
Recours accru aux génériques, recul du « NS », biosimilaires à la traîne
Après des années où la France accusait un retard conséquent, la Cnam se satisfait du recours accru aux médicaments génériques. À fin juillet 2024, le taux de pénétration de ces copies de médicaments chimiques atteint près de 93 %. « Dans plus de 9 cas sur 10, un patient sort de l’officine avec un médicament générique. On a mis plus de 25 ans pour atteindre ce résultat », s’est réjouie Sophie Kelley. Cette percée des génériques dans le répertoire permet à l’Assurance-maladie d’économiser environ 1,2 milliard d’euros par an. Parallèlement, le recours à la mention « non substituable » (en forte hausse durant toute la décennie 2010) a reculé pour tomber à 2,6 % des prescriptions dans le répertoire fin 2023 (contre 7,2% fin 2019).
Du côté des biosimilaires en revanche, la progression est plus timide. Toujours nettement moins nombreux que les génériques, ils se développent toutefois plus fortement ces dernières années. On recense en effet 18 référents et 47 biosimilaires sur le marché pour 14 classes thérapeutiques distinctes, contre 12 référents et 25 biosimilaires seulement en 2019. Avec un taux de pénétration des biosimilaires dans le répertoire de seulement 32% en 2023 (et un marché de 2,5 milliards d’euros), le potentiel d’économies reste « majeur », insiste la Cnam. La nouvelle convention médicale de juin 2024 a renforcé en ce sens le dispositif d’intéressement des prescripteurs valorisant la prescription de biosimilaires : le partage d’économies entre le médecin et l’Assurance-maladie passant à 50/50 % contre 20/70 % auparavant.
Les prescriptions des hospitaliers pèsent très lourd dans l’Ondam de ville
Autre enseignement phare de ce panorama du médicament : parmi les médicaments délivrés en ville, 45 % des dépenses de remboursements sont liées à des prescriptions… de praticiens exerçant à l’hôpital. Si elle n’est pas nouvelle, cette proportion de prescription hospitalière (qui pèse donc sur le budget des soins de ville) ne cesse de progresser ces dernières années, passant ainsi de 32% en 2017 à 45% en 2023. L’année dernière, l’Assurance-maladie a en effet remboursé 12,7 milliards d’euros de médicaments délivrés en officine de ville mais d’origine hospitalière contre seulement 7,3 milliards d’euros sept ans plus tôt. Une tendance qui s’explique par le « virage ambulatoire » selon Sophie Kelley. « Des anticancéreux se prennent désormais par voie orale, ce qui permet au patient de prendre le médicament chez lui et ne pas être hospitalisé », détaille-t-elle.
La Cnam en campagne sur le bon usage
C’est dans ce contexte que l’Assurance-maladie lance une nouvelle campagne de sensibilisation et d’information multi-supports du 10 au 30 novembre (spots TV, radio, presse, relais vis les canaux de l’Assurance-maladie, etc.) visant à un « usage raisonné » du médicament et à encourager les bonnes pratiques. Outre le dispositif grand public, un volet de la campagne sera dédié aux professionnels de santé avec affiche à télécharger et à placer dans leur cabinet. « Le bon traitement, ce n’est pas forcément un médicament », peut-on lire. Autres outils ciblés : une foire aux questions pour les aider à répondre aux questions les plus fréquentes des patients ou encore des conseils et alternatives thérapeutiques.
D’après une enquête de la Cnam, « la moitié des Français attend en priorité une prescription de médicaments à l’issue d’une consultation » et « 82 % des médecins généralistes disent ressentir une pression des patients pour leur prescrire des médicaments » (souvent ou parfois). Conséquence, seule une consultation médicale sur cinq n’aboutit pas à une prescription de médicaments, « un chiffre nettement inférieur à celui observé dans les pays européens voisins ».
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