Dans notre éphéméride du 25 mai, nous avions évoqué l'arrivée d'une flûte hollandaise, le "Grand Saint-Antoine" chargé d'étoffes précieuses d'une valeur de 100 000 écus mais infestées de puces, porteuses du bacille de Yersin. Alors que de strictes mesures de quarantaine sont appliquées aux navires suspects , le bureau de santé du port de Marseille ne va appliquer - à la demande des propriétaires de la cargaison qui ne voulaient pas perdre le bénéfice de tissus qu'ils comptaient vendre à la foire de Beaucaire - que la réglementation la moins contraignante. Les marchandises sont débarquées au bout de quatre jours et l'équipage, qui avait subi une quarantaine légère dans l'île de Jarre, peut débarquer au bout de vingt jours seulement. Mais le mal est déjà fait et la peste a déjà commencé à ravager la cité phocéenne.
Bubons caractéristiques
C'est là que nous nous étions arrêtés dans notre précédente livraison et nous reprenons le cours de notre histoire à la date du 20 juin quand Marie Dauplan, une lavandière de rue Belle-Table, venelle étroite des vieux quartiers, s'écroule sur la chaussée et meurt en quelques heures. Au coin de sa lèvre, on retrouve un bubon caractéristique…
Le 28 juin, un tailleur, Michel Cresp, meurt subitement. Le 1er juillet, deux femmes, Eygazière et Tanouse, demeurant rue de l'Échelle, autre quartier déshérité de la ville, meurent l'une d'un charbon sur le nez, l'autre avec des bubons, signes évidents de la peste. À partir de cette date, la maladie va se propager allègrement dans la ville à raison de deux ou trois morts par jour, les premières victimes ayant été les portefaix ou les personnes qui avaient manipulé directement les tissus déchargés du "Grand Saint-Antoine". En règle générale, les pestiférés décèdent de septicémie trois jours après les piqûres de puce.
"Dieu a déclaré la guerre à son peuple"
Il faut attendre le 9 juillet pour que les autorités reconnaissent que toutes ces morts sont bien dues à la peste. Ce jour-là, Charles Peyssonnel et son fils Jean André Peyssonnel, tous deux médecins, appelés au chevet d'un enfant de 13 ans, rue Jean-Galland, diagnostiquent la peste et avertissent les échevins. Les morts sont enterrés dans de la chaux vive et leurs maisons sont murées. Même si les échevins de la ville essaient de minimiser la situation, la population commence à s'effrayer. D'autant que le 23 juillet, 14 personnes habitant la même rue décèdent en quelques heures… À partir de cette date, les morts vont redoubler et un prêtre, le père Giraud, peut écrire que"Dieu a déclaré la guerre à son peuple".
La panique s'empare de Marseille. Mais si les riches bourgeois peuvent aller se réfugier dans leurs bastides de la campagne avoisinante, les déshérités eux n'ont d'autre ressource que de créer un immense campement sur la Plaine Saint-Michel, l'actuelle place Jean-Jaurès.
À partir du 9 août, il meurt plus de cent personnes par jours. Les hôpitaux débordent de malades et les cadavres sont jetés, sans autre forme de procès dans la rue.
Les villes voisines ayant été alertées par Peysonnel, celles-ci interdisent tout commerce avec Marseille et tout va-et-vient de personnes. Jusqu'à Rodez et Toulouse, tout individu arrivant de Provence est dorénavant mis en quarantaine. Les marchandises sont "mises à l'air" quarante jours et nul ne peut plus voyager sans certificat de santé…
1 000 décès quotidiens à partir de la mi-septembre 1720
Dans Marseille même, à la fin du mois d'août, tous les quartiers sont touchés, y compris le quartier de Rive-Neuve pourtant séparé de la ville par le port et le vaste arsenal des galères. Malgré les mesures prises par le capitaine de ce quartier, le chevalier Roze, il a été impossible de couper toute communication avec la vieille ville, épicentre de l'épidémie où trois cents personnes succombent chaque jour. À la mi-septembre, mille décès sont constatés chaque jour et les églises ferment leurs portes les unes après les autres.
Le 14 septembre 1720, le Conseil d'État décide le blocus de Marseille et règle la police maritime. Mesure bien tardive car non seulement la Provence, mais aussi le Languedoc, sont désormais frappés de plein fouet par la peste. Arles, Aix, Toulon, Cassis, Aubagne, Avignon sont touchés, l'épidémie s'étendant jusqu'aux confins des Cévennes à Alès, Marvejols et Mende. Seule La Ciotat est protégée grâce à ses hautes murailles.
Un "Mur de la peste"
Un cordon sanitaire est mis en place pour protéger le reste de la France, avec le Mur de la peste dans les Monts de Vaucluse prolongé jusqu’à la Durance le long du Jabron puis jusqu’aux Alpes.
Dans Marseille désertée par ses habitants, il ne reste plus que les échevins, les curés et quelques fidèles admirateurs de l'évêque de Belsunce qui constituent des milices pour incinérer les morts, maintenir l'ordre et tenter de prêter secours aux plus démunis. Ces "corbeaux" ainsi appelés parce qu'ils portent le masque au bec de canard, imaginé par De Lorme, le médecin de personnel de Louis XIII, dans lequel on place du romarin ou du girofle, ont aussi la charge de désinfecter et d'enfumer les maisons où des pestiférés ont séjourné.
Tout le monde est atteint donc, du plus pauvre au plus riche même si la légende veut que trois professions aient été épargnées : les chevriers, les palefreniers et les porteurs d'huile en raison de l'aversion de la puce du rat pour les odeurs animales et oléagineuses…
A partir du 1er octobre 1720, l'épidémie va enfin commencer à régresser. La mortalité n'est plus que d'une vingtaine de personnes par jour et les malades nouvellement frappés guérissent plus facilement, désormais soignés à l'hôpital de la Charité. Au début de l'année 1721, on enregistre seulement une à deux morts quotidiennes et la vie reprend tout doucement son cours à Marseille : le port de commerce reprend son activité, les boutiques rouvrent, les pêcheurs reprennent la mer…
Début juin 1721, l'épidémie semble éradiquée, ce qui le 20 de ce mois va inciter Mgr de Belsunce à organiser une grande procession à l'occasion de la fête du Sacré-Cœur, même si les autorités médicales l'ont mis en garde sur une possible résurgence de l'épidémie. Et, effectivement, l'épidémie fait son retour en avril 1722 provoquant à nouveau le désarroi dans la population marseillaise.
À la suite de ce retour de flamme de l'épidémie, les échevins marseillais, à la demande de Mgr de Belsunce, vont faire le 28 mai 1722 le vœu solennel d'aller entendre à chaque date anniversaire la messe au monastère de la Visitation et d'offrir « un cierge ou flambeau de cire blanche, du poids de quatre livres, orné de l'écusson de la ville pour le brûler ce jour-là devant le Saint-Sacrement ». Ce vœu ne cessera d'être accompli jusqu'à la Révolution.
À partir de 1877, la Chambre de commerce et d'industrie Marseille-Provence va perpétuer le vœu, organisant chaque année une cérémonie religieuse marquée par l'offrande d'un cierge identique à celui décrit en 1722. La cérémonie a lieu dans l'église du Sacré-Cœur du Prado.
La grande peste de Marseille sera définitivement endiguée au début du mois d'août 1722.
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