On pourrait tout au contraire dire que nous sommes entrés dans l'ère des hypocondriaques. Il est peu de quotidiens ou de magazines qui n'abordent les liens entre notre époque et certaines maladies. Beaucoup de médecins (mais oserons-nous dans ces colonnes le leur reprocher ?) sont appelés sur les plateaux de télévision dès qu'un trouble précis est d'actualité ou ont même créé leur propre magazine, suivez notre regard.
Et, d'abord, y a-t-il vraiment un déni ? Peut-on sérieusement soutenir que « le malade est devenu rare » ? « Autour de soi, il n'y a plus ce parent à qui on va rendre visite. Lorsqu'un proche est souffrant, il est hospitalisé, la mobilisation autour de lui est brève. » Mais il est vrai que la tendance générale est de renvoyer le patient au plus vite chez lui, tout comme est vraie la disparition des maladies d'autrefois qui pouvaient durer des mois voire des années, que ce soit la tuberculose ou la syphilis.
L'ouvrage a l'intérêt de prendre un point de vue existentiel, même si l'auteur se défend, posture classique, de faire de la philosophie. « Au niveau du vécu », on pourrait déjà dire tout bêtement que, si déni il y a, si celui qui souffre « traîne » avant de se soigner, c'est tout simplement parce que souffrir est désagréable et que, à terme, derrière toute souffrance se profile le fantôme d'une issue fatale. N'est-ce pas déjà suffisant pour regarder ailleurs, et préparer son prochain voyage en Guadeloupe ?
Si l'on veut bien admettre que le patient refuse de toutes ses forces son être-au-monde malade, la description phénoménologique qu'en fait Philippe Abastado est si suggestive qu'il rend la chose impossible. Ainsi en est-il de la plongée dans la solitude, qui « s'associe à la condition du malade comme une évidence : rareté des visites, des contacts téléphoniques, disparition du courrier, raccourcissement du temps de présence du personnel en milieu hospitalier. La télévision et Internet remplissent le temps. »
Un désordre infini
C'est avec beaucoup de subtilité que l'auteur analyse la relation médecin-malade. Trop de distance, et voici le praticien armé d'un surplombant savoir, tandis qu'une distance abolie crée une empathie non souhaitable. Philippe Abastado en décrit bien la labilité dans le temps : reconnaissance, proximité, lorsque le danger se fait menaçant, oubli, voire hostilité au retour de la santé. Autant d'échanges légitimés par la méthode du médecin, qui est de partir de cas empiriques.
Utilisant Kant (la maladie est une plongée dans l'hétéronomie) aussi bien que Ricœur ou Canguilhem, pour qui être malade, c'est être condamné à une seule norme sans possibilité aucune d'improvisation, l'ouvrage dit plus le désarroi que le déni.
C'est ce qui ressort de ces terribles ultimes lignes : « Le médecin espère souvent contrôler le mal de son patient par un traitement actif sur un organe, un paramètre. Mais son expérience lui apprend, tôt ou tard, qu'il est en face d'un désordre infini. »
Philippe Abastado, « Le Dernier Déni - Craignons-nous plus la maladie que la mort ? », Albin Michel, 240 p., 18 €
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